La mission de l’Abbé Huvelin : guider une âme indomptable

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À l’approche de la canonisation du frère universel, il est bon de s’intéresser à celui qui fut pour lui un directeur spirituel exceptionnel.

Par le PÈRE XAVIER LEFEBVRE, Curé de Saint-Augustin (Paris)

Exceptionnel, il fallait que l’abbé Huvelin le fût, vu le tempérament de feu du jeune officier explorateur. Leur relation épistolaire de presque vingt-quatre ans (jusqu’à la mort de l’abbé Huvelin, en 1910), témoigne de la confiance du jeune converti en celui que la Providence divine met sur son chemin. Bien des aspects du rayonnement de l’ermite du désert peuvent se trouver déjà dans les propos du prêtre de Saint-Augustin.

La rencontre

C’est vers la fin du mois d’octobre 1886 que se produit la rencontre entre les deux hommes. À vrai dire, l’abbé Huvelin était connu de la famille Moitessier, cousine de Charles. Au retour de son exploration du Maroc, en 1884, son attitude a profondément changé. Il n’est plus le jeune officier tapageur et fougueux. Le monde musulman qu’il a côtoyé l’a impressionné. Dans les contrées désertiques du Haut Atlas, les hommes sont naturellement religieux. À son retour en France, sa cousine Marie note ce changement chez Charles : besoin de silence, et surtout interrogation sur le sens de son existence. C’est justement Marie, en laquelle Charles voit un modèle de grâce, d’intelligence et de foi, qui va le conduire vers l’abbé Huvelin. Celui-ci a vingt ans de plus que lui, et est en pleine maturité de sa vie sacerdotale. Très érudit (École normale supérieure, agrégé d’histoire), il est néanmoins réputé comme un second “curé d’Ars”, répartissant son temps entre visite des malades, prédications et enseignement de haute qualité, confession et accompagnement spirituel, pour lequel il a reçu un charisme particulier. Cette rencontre est le fait de la Providence elle-même. Charles, dont les capacités intellectuelles sont vives, a besoin d’un homme de cette trempe pour lui montrer l’intelligence de la foi, et le conduire vers l’union à Dieu.

Un modèle de direction spirituelle

L’art de la direction spirituelle, l’abbé Huvelin l’exprime en ces termes : « Ce que le prêtre cherche dans une âme, c’est l’espérance qui reste en elle et le besoin particulier que Dieu a creusé, le point où Dieu lui demande quelque chose… » Il s’agit donc de conduire une liberté, en l’ouvrant au travail de la grâce divine. En même temps, Charles de Foucauld reçoit de l’abbé Huvelin, à travers ses enseignements, une lumière sûre. Lui, orphelin depuis l’âge de six ans, redécouvrant tout de la vie chrétienne après une vie d’acédie et de tristesse intérieure, doit s’en remettre à un vrai père. Sa confiance sera totale : « À vous de voir ce qu’il veut de moi… Je ferai absolument tout ce que vous me direz ; et quoi que vous me disiez, je serai content, car je croirai que c’est la volonté de Dieu, que je veux seule… » lui écrit-il en 1898. Dans une relation d’obéissance libre, il découvre ce qui sera le triple fondement de sa vocation : l’amour du Christ pauvre et la vie cachée, l’amour du Cœur de Jésus dans l’adoration eucharistique, l’Évangile médité et proclamé. Sur ces trois points, nous trouvons une vraie parenté entre un père spirituel et son fils.

Aimer et imiter Jésus en tout

C’est avant tout le Christ pauvre, ayant choisi une vie d’abjection, que Charles découvre dans les enseignements de l’abbé Huvelin. N’est-ce pas d’ailleurs l’une des paroles qu’il entend lors d’un sermon sur l’Incarnation, qui va le mettre en route : « Notre Seigneur a tellement pris la dernière place que personne ne pourra la lui ravir » ? Cette imitation du Christ, le prêtre de Saint- Augustin la recherche en tout : « S’identifier avec Jésus Christ ; aimer ce qu’il aime ; détester ce qu’il déteste ; faire sa joie et sa gloire de ce qui LUI agrée… ; souffrir de ce qui LUI est contraire ; vouloir en LUI et comme LUI. » C’est ainsi que l’on retrouve dans les lettres de Charles ce désir qui naît en lui : « Pour moi, chercher toujours la dernière des dernières places, arranger ma vie de manière à être le dernier, le plus méprisé des hommes », lui répétant qu’il a « remis son âme entre ses mains ».

Cœur du Christ et adoration eucharistique

L’abbé Huvelin a certainement insufflé dans l’âme de Charles de Foucauld un très grand amour de l’eucharistie. Il revient sans cesse sur ce qui est la source et le sommet de la vie chrétienne : « La communion est source de force et de persévérance. » Dès ses années à la Trappe, puis à Nazareth, à Béni-Abbès, et enfin à Tamanrasset, Charles passe de très longues heures devant le Saint-Sacrement, développant toujours plus cette intimité avec l’Ami fidèle. L’adoration eucharistique tient une place centrale dans sa Règle pour les Petits Frères de Jésus : « Ma règle est si étroitement liée au culte de la Sainte Eucharistie qu’il est impossible qu’elle soit observée par plusieurs sans qu’ils aient un prêtre et un tabernacle. »

« Vous êtes là, mon Dieu, à un mètre de moi… » Il faut relire ces pages de feu de la retraite de Charles à Nazareth pour saisir à quel point les deux cœurs ne veulent faire plus qu’un. L’adoration eucharistique fait tout un avec l’union au Cœur de Jésus. Ensemble, l’abbé Huvelin et Charles de Foucauld étaient montés vers la basilique du Sacré-Cœur de Paris, à peine achevée, pour y faire une consécration. En cette fin du XIXe siècle, un grand courant de dévotion parcourt toute la France. Le père de l’abbé Huvelin lui-même se convertira en 1873, et sera fidèle à ce culte du Sacré-Cœur.

Le Cœur de Jésus, cousu sur le scapulaire de l’ermite du Sahara, exprime ce qu’il veut mettre en œuvre : « … finir ses jours au désert dans l’adoration de la Sainte Hostie, la pratique de la charité, et la pénitence, parmi les peuples barbares, sous le nom du Sacré-Cœur et portant Son image sur la poitrine. »

Ne prêcher que d’exemple

L’abbé Huvelin ne s’éloigne jamais de l’Écriture sainte dans ses enseignements. Mais il fait preuve d’une étonnante acuité par ces mots : « … l’Évangile, écrit dans un livre, sollicite déjà l’admiration ; mais en face de cet évangile vivant, en face de cette personne, qui a su développer dans sa vie les germes des vertus qui y sont déposées, l’impression est autrement grande et forte… » Ne pas se contenter de connaître l’Évangile, mais le vivre ! Ou encore, plus nettement encore : « On comprendra toujours l’Évangile qui s’écrit dans un cœur bon, pur et saint, et on sentira la vie qui s’est formée là… Laissons-nous prendre par le Christ… qui veut faire de nous un reflet de LUI ! » L’oreille du cœur de Charles écoute avec attention, et n’a de cesse de vouloir mettre en pratique ces conseils : « L’imitation est inséparable de l’amour : c’est le secret de ma vie : j’ai perdu mon cœur pour ce JESUS de Nazareth crucifié il y a 1900 ans et je passe ma vie à chercher à l’imiter autant que le peut ma faiblesse. » écrit-il à son ami Gabriel Tourdes. Il s’impose la loi du silence et de la vie cachée, pour ne prêcher que d’exemple. C’est la vie elle-même qui doit être évangélique.

Une direction paternelle et franche

L’accompagnement et les conseils de l’abbé Huvelin à Charles de Foucauld, pour qu’ils puissent porter du fruit supposent confiance, vérité, et liberté. Le premier saura dire les choses au second, quand il ne verra pas assez clairement les motions de la grâce. Le chemin de Charles est d’une nouveauté radicale. Le père en est souvent embarrassé, mais il le dit : « Ne pensez pas à grouper des âmes autour de vous, ni surtout à leur donner une règle. Vivez de votre vie, puis s’il vient des âmes, vivez ensemble de la même vie… ne cherchez rien d’exceptionnel ! » Il ne cache pas son effroi devant les désirs impétueux et absolus de son cœur. Mais peu à peu, il voit bien que la grâce le pousse au don total de lui-même. De fait, et surtout après l’ordination sacerdotale de 1901, il va peu à peu s’effacer, et faire confiance à celui qui a gagné en maturité à force d’obéissance et d’abandon à ses supérieurs : « De conseils je n’ai pas à vous en donner, tenez votre cœur prêt, et laissez-le remplir de ce que le Maître y voudra mettre : me voici pour faire votre volonté ! » L’abbé Huvelin le reconnaît humblement, après tout le travail accompli : « Un directeur a-t-il jamais dirigé qui que ce soit ? Mais je n’ai pas besoin de le conduire et je n’ai qu’à l’admirer et à l’aimer. » Le directeur spirituel laisse maintenant l’homme dans la maturité de sa vocation.

Un père incomparable

Sans l’abbé Huvelin, y aurait-il eu Charles de Foucauld ? En tout cas, nous pouvons dire qu’il y a eu Charles, parce qu’il y a eu ce père spirituel incomparable. La compréhension, l’écoute, l’amitié, le soutien et enfin la prière et la docilité commune à l’Esprit Saint ont permis de faire éclore dans le fils les semences que le père avait déposées.

L’abbé Huvelin a toujours été de santé fragile, en raison sans doute d’une ascèse rigoureuse qu’il s’imposait. Mais tout cela, il l’offrait de façon sacerdotale, « pour le salut des âmes ». En cette période marquée par la crise anticléricale et la séparation de l’Église et de l’État, il y a aussi tout cette découverte de la dévotion au Sacré-Cœur, et la sortie de l’esprit janséniste (pensons à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, de la même époque). Ce qui guide l’abbé Huvelin, c’est avant tout la charité et la miséricorde pour les âmes. « Je n’aimerai jamais assez… On ne vaut que par ce qu’on aime », tels sont ses derniers mots au moment de quitter ce monde. Étonnamment, on retrouve ces paroles dans la bouche de Charles, au matin du 1er décembre 1916, jour de sa mort. « Comme c’est vrai, on n’aimera jamais assez ; mais le bon Dieu, qui sait de quelle boue il nous a pétris et qui nous aime bien plus qu’une mère ne peut aimer son enfant, nous a dit, lui qui ne meurt pas, qu’il ne repousserait pas celui qui vient à lui. »

C’est bien par l’abbé Huvelin que Charles de Foucauld accomplit ce retour du fils prodigue dans la maison du Père. Il sera toujours reconnaissant à Dieu de cette miséricorde infinie. Mais c’est parce qu’il a découvert dans ce père incomparable, la charité du Cœur de Jésus qui l’habitait, que Charles a pu donner sa vie à Dieu, voulant lui rendre, à travers l’imitation de sa pauvre vie, amour pour amour. ¨

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Le magazine Il est vivant a publié le numéro spécial :

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