La mer se trouve devant nous…

Témoignage de Philomène

D’abord il y a Marseille.

L’accent qui chante, le mélange étonnant entre immeubles décrépis et monuments splendides. Les quartiers Nord et le panier. La saleté et le bruit. Et devant, partout, la mer.

Cette mer dont il est question cette semaine. Cette mer aux 5 rives qui réunit 70 évêques et autant de jeunes des pays qui la bordent.

Cette mer dont on dit qu’elle est devenue un cimetière.

Cette mer, pourtant, qui scintille devant nous.  Ce coucher de soleil qui éclabousse les rues d’un jaune oranger qui réchauffe le cœur.

Alors, d’abord il y a cette dualité. Mon élan du cœur qui me fait m’émerveiller.

Et puis les mots résonnent. « La mer se trouve devant nous ; elle est source de vie, mais aussi un lieu qui évoque la tragédie des naufrages causant la mort. »[1] Pourtant elle est tellement belle, cette mer.

J’étais avant tout venue pour voir le Pape. Et je me prends cette claque. « Le Ciel nous bénira si, sur terre comme sur mer, nous savons prendre soin des plus faibles, si nous savons surmonter la paralysie de la peur et le désintérêt qui condamne à mort, avec des gants de velours. (…) Croyants, nous devons donc être exemplaires dans l’accueil mutuel et fraternel. »[2]

Certains n’apprécient pas que le Pape nous bouscule. Je ne peux pas dire que ce soit une partie de plaisir pour moi non plus. Par ses mots, il me renvoie à tout ce que je ne fais pas suffisamment. A mes questions sans réponse, à mes « mais que puis-je faire, moi, simple citoyenne ? ».

C’est dans cet état que j’arrive à la Major. La Communauté de l’Emmanuel y organise une veillée de prière, et juste à côté est organisé un grand banquet pour accueillir et prendre soin de 600 personnes. Des grands chefs ont accepté de servir une immense bouillabaisse. Un repas délicieux pour ces personnes qui ont souvent une histoire tragique avec la méditerranée. Une main tendue, des rencontres, surtout. Prendre le temps de se connaître. De s’écouter.

De nouveau, les mots du Pape : « Par où commencer alors pour enraciner la paix ? Sur les rives de la Mer de Galilée, Jésus commença par donner de l’espérance aux pauvres, en les proclamant bienheureux : il écouta leurs besoins, il soigna leurs blessures, il leur annonça avant tout la bonne nouvelle du Royaume. C’est de là qu’il faut repartir, du cri souvent silencieux des derniers, et non des premiers de la classe qui élèvent la voix même s’ils sont bien lotis. Repartons, Église et communauté civile, de l’écoute des pauvres qui sont à « embrasser, et non pas à compter » (P. Mazzolari, La parola ai poveri, Bologne 2016, p. 39), car ils sont des visages et non des numéros. »[3]

Je prie, avec ma fille de 15 ans, assise par terre contre un poteau de cette belle Cathédrale. Je prie le Seigneur de me mettre en mouvement, de me montrer quoi faire. Je sais que mon mari, assis là-bas, un peu plus loin, est profondément touché aussi. Je le vois qui parle à Dieu, un point d’interrogation dessiné sur le front.

Les personnes défilent, venant confier leur détresse au Seigneur. Ils croient ou pas. Ils sont catholiques ou pas. Mais tous viennent déposer leurs doutes, leurs fragilités. Ici, la Bonne Mère est la mère de tous et la religion fait partie de la vie. Je suis touchée par cette piété populaire qui me ramène les pieds sur terre, qui balaye toutes les grandes questions un peu hors sol et qui me ramène à ma façon de vivre ma foi.

Et puis, ça y est. Je suis comme une gosse ! On est dans le vélodrome. Mes yeux s’émerveillent de la beauté de ce lieu. Je regarde l’assemblée au taquet. Je chante quand il le faut. Je me lève avec la hola (quel kif d’entendre la foule acclamer les 700 prêtres qui se lèvent comme un seul homme !), et je n’en peux plus d’attendre de voir le Pape arriver !

Le voici, nous nous levons tous d’un bond. C’est dingue, de voir 57 000 personnes debout qui l’applaudissent, l’émotion me prend. Je me dis qu’il a bien besoin de notre soutien. Je me dis que j’aime l’Eglise et que je ne prie sans doute pas suffisamment pour le successeur de Pierre.

Et puis ses premiers mots. L’assemblée se tait. Un silence respectueux et impressionnant. Sa parole est attendue. Je prie pour qu’elle se fraye un chemin dans nos cœurs. D’abord dans le mien. Mais aussi dans ceux des personnalités politiques qui sont en face de moi, de l’autre côté de la pelouse, sagement assis dans leur loge.

C’est l’homélie. « Voilà le signe : tressaillir. Celui qui croit, qui prie, qui accueille le Seigneur tressaille dans l’Esprit, sent que quelque chose bouge à l’intérieur, il “danse” de joie. Et je voudrais m’arrêter sur cela : le tressaillement de la foi. L’expérience de foi provoque avant tout un tressaillement devant la vie. Tressaillir c’est être “touché à l’intérieur”, avoir un frémissement intérieur, sentir que quelque chose bouge dans notre cœur. C’est le contraire d’un cœur plat, froid, installé dans la vie tranquille, qui se blinde dans l’indifférence et devient imperméable, qui s’endurcit, insensible à toute chose et à tout le monde. »[4]

Bon, bin, je tressaille depuis 2 jours moi. Et je crois même avoir entendu le Vélodrome tressaillir aussi.

Glorious nous fait chanter « Je suis dans la joie » à la fin de la messe, le temps que le Pape sorte du stade. Oui, assurément, je suis dans la joie de me dire que 57 000 âmes ont tressailli.

Qu’en restera-t-il ? Comment vais-je me mettre en mouvement ? Tendre la main aux plus fragiles ? Je me tourne vers la Bonne Mère.

« Regardons Marie qui se dérange en se mettant en route et qui nous enseigne que Dieu est précisément come cela : il nous dérange, il nous met en mouvement, il nous fait “tressaillir”, comme avec Élisabeth. Et nous voulons être des chrétiens qui rencontrent Dieu par la prière et nos frères par l’amour, des chrétiens qui tressaillent, vibrent, accueillent le feu de l’Esprit pour se laisser brûler par les questions d’aujourd’hui, par les défis de la Méditerranée, par le cri des pauvres, par les “saintes utopies” de fraternité et de paix qui attendent d’être réalisées. »

Seigneur, garde moi des passions tristes. Garde moi en mouvement, que j’aime toujours plus mes frères et sœurs et que je puisse être artisan de paix et de fraternité là où je suis.

 

 

[1] Moment de recueillement avec les responsables religieux au mémorial dédié aux marins et aux migrants morts en mer – Discours du Saint Père- Marseille le 22 septembre 2023

[2] Idem

[3] Session conclusive des Rencontres Méditerranéennes – Discours du Saint-Père – le 23 septembre 2023

[4] Homélie du Saint-Père, Messe du Vélodrome, le 23 septembre 2023

Photo Pape a Marseille Notre Dame de la Garde 2
La mer se trouve devant nous
Photo Pape a Marseille ND de la Garde 1
Marseille FBM dec 22 3

Recommandez cet article à un ami

sur Facebook
par Whatsapp
par mail