Jésus, fais-moi gagner à la loterie !

Qui n’a pas lu les histoires de Don Camillo ? Elles sont pleines de sel, d’humour, et aussi d’espérance et de joie. Elles peuvent faire réfléchir. Prenons un extrait de Don Camillo et ses ouailles[1], à cet endroit où Don Camillo, en prière devant son crucifix, supplie le Christ en ces termes :

« Jésus, j’ai besoin de trouver de l’argent pour m’acheter un haut-parleur que je placerai sur le clocher. Ainsi, lorsque je parlerai du haut de la chaire ou de l’autel, ma voix résonnera comme le tonnerre et même ceux qui ne viennent pas ici seront obligés de m’entendre. Jésus, fais-moi gagner à la loterie ».
Le Christ parla sévèrement à Don Camillo.
« S’il est dit que tu dois gagner, tu gagneras. Mais si tu gagnes, ce ne sera certes pas pour avoir engagé Dieu à changer en ta faveur l’ordre préétabli. Tu devras seulement le remercier parce qu’il t’aura accordé la grâce d’accomplir une action en accord avec la divine harmonie qui règle l’univers. Don Camillo, imagine que tu marches, absorbé dans tes pensées et qu’en traversant la voie ferrée, ton pied se prenne, on ne sait comment, dans un rail. Malgré tous tes efforts, tu n’arrives as à te tirer de là et personne ne peut t’aider. La ligne de chemin de fer est double, les deux voies sont côte à côte et tu ne sais sur laquelle passera le train. Et tu implores l’aide de Dieu. Et voici un coup de sifflet : le train passe sur l’autre voie. Tu es sauf et tu remercies le Seigneur d’avoir fait en sorte que ton pied ne se soit pas pris dans l’autre rail. Tu ne peux le remercier d’avoir fait passer le train où tu le désirais, puisque celui-ci était en route lorsque l’accident est survenu : il avançait déjà sur l’autre voie ; tu ne peux imaginer que Dieu l’ait dévié en ta faveur. C’est pourquoi tu dois seulement le remercier de ce que la machine était engagée sur l’autre voie. »

La première réflexion que m’inspire ce passage, c’est la motivation de Don Camillo : on voit qu’il a le feu de l’évangélisation. Mais cette motivation a grand besoin de purification, pour plusieurs raisons. Il est, certes, très louable de souhaiter que ceux qui sont hors de l’église soient évangélisés, mais quel que soit le feu qui l’habite, Don Camillo doit aussi accepter que ces personnes puissent faire usage de leur liberté et ne soient pas obligés d’entendre ses sermons par le haut-parleur, « comme le tonnerre », qui plus est ! Il doit accepter de ne pas être tout-puissant, y compris dans cette évangélisation dont le feu lui brûle. Certes, il doit se mettre en quatre pour rejoindre ceux qui sont loin, mais peut-être pas par des moyens qui lui donneraient, à lui une surpuissance : le service des pauvres, l’humilité et la joie, par exemple. Peut-être aussi doit-il apprendre à passer par les autres, par ses paroissiens. Don Camillo est très sympathique, mais sans doute trop personnel et trop clérical. Il ne s’agit pas d’une hagiographie ! N’oublions pas que l’auteur, Govanni Guareschi, nous livre un récit de divertissement et d’humour.

La deuxième réflexion concerne la théologie de la Providence. Nous avons tous en tête des récits de témoignages montrant que Dieu peut intervenir de manière surprenante. Ainsi, même si le train avait été engagé sur la voie où le pauvre homme est accroché, il pouvait encore se trouver arrêté par une panne ou par l’attention du conducteur qui aurait vu cet homme suffisamment à temps pour stopper les machines. Mais il me semble que Guareschi a raison de faire dire au Christ que Dieu, même quand il intervient miraculeusement, respecte l’ordre de la nature. Dieu n’est pas un magicien.

Il y a encore une autre considération qui ne doit pas nous échapper : le drame de la mort peut aussi se produire. Ici, il serait effroyable, puisque l’homme serait écrasé par un train. Il semble même qu’habituellement, Dieu ne nous épargne pas les drames liés soit à nos erreurs, ou à nos fautes, ou à celles des autres, ou même à de fâcheux hasards. Il ne nous évite pas le tragique. Il ne l’a pas évité pour Jésus lui-même. La Croix est au cœur de notre foi.

Bernard de Castéra

[1] Extrait de Don Camillo et ses ouailles, par Giovanni Guareschi (traduit de l’italien par Michel Vermont, Editions du Seuil – Edition originale : Don Camillo ritorna, Edit Rizzoli)

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