Jérôme Lejeune, ce savant au service des petits, déclaré vénérable

Le 21 janvier 2021, le professeur Jérôme Lejeune a été déclaré vénérable par le pape François. A cette occasion, nous vous partageons une biographie de ce médecin pionnier de la bioéthique moderne, publiée dans le magazine Il est vivant.

Vignette Jerome Lejeune IEVJérôme Lejeune est né en 1926. Enfant curieux de nature, il tire un enseignement de tout ce qu’il vit. Fort en thème, plein d’humour, capable de monter une pièce de théâtre ou de s’abîmer dans le travail solitaire, sa personnalité étonne par sa diversité et sa liberté. Tout le passionne, des mathématiques à l’astronomie, de la musique au théâtre et ses travaux portant aussi bien sur les radiations atomiques que sur le Saint-Suaire de Turin ou sur l’apparition du premier couple humain sur la terre (hypothèse adamique), feront progresser les sciences dans des domaines variés.

Très tôt sa vocation se dessine, il veut devenir médecin de campagne, dévoué aux humbles et aux pauvres. Après la guerre, il se plonge avec passion dans les études de médecine. Son avenir se décide quand en 1951, le professeur Raymond Turpin, lui propose de devenir son assistant pour un sujet délaissé : le “mongolisme”. Jérôme touché par le manque total de prise en charge des familles concernées, accepte.

Le 1er mai 1952, il épouse au Danemark, Birthe Bringsted, dont il aura cinq enfants – Anouk, Damien, Karin, Clara et Thomas – et avec laquelle il partagera tous ses combats. Pendant ses séjours à l’étranger, il lui écrit chaque jour. Il est alors chercheur au CNRS.

En 1957, Jérôme est nommé, auprès de l’ONU, “expert sur les effets des radiations atomiques en génétique humaine”. Il participe dès lors à de nombreux congrès internationaux.

En juillet 1958, profitant d’une nouvelle technique rapportée des États-Unis par le docteur Marthe Gauthier, le jeune docteur Lejeune découvre la cause du mongolisme, un chromosome supplémentaire sur la paire 21. Le 26 janvier 1959, l’Académie des Sciences publie ses travaux qui ouvrent un immense champ
d’investigation pour la génétique moderne et posent les bases d’une nouvelle discipline : la cytogénétique. Jérôme Lejeune recevra le prix Kennedy et le William Allen Memorial Award pour cette découverte. En octobre 1965, il est nommé titulaire de la première chaire de génétique fondamentale à Paris.

Très vite Jérôme Lejeune n’a plus qu’une seule ambition: trouver le traitement qui soulagera ses patients. Jamais en effet il ne séparera le soin de la recherche et c’est dans le contact personnel avec ses patients qu’il puise l’énergie déployée tout au long de sa vie pour trouver un remède à leurs maux. Avec ses collaborateurs, il découvre le mécanisme d’autres maladies chromosomiques. Chef de l’unité de cytogénétique à l’hôpital Necker Enfants-Malades à Paris, il soigne plus de 9000 personnes attirées par sa renommée internationale et par l’accueil qu’il leur réserve, fait d’écoute et de compassion.

Un homme de paix, dans la tourmente internationale

Bientôt Jérôme perçoit dans le corps médical américain, un courant qui préconise la suppression par l’avortement des malades à naître. Il voit avec frayeur quels risques sa découverte vient d’engendrer pour les bébés trisomiques. Il confie : « Le racisme chromosomique est brandi comme un drapeau de liberté… Que cette négation de la médecine, de toute la fraternité biologique qui lie les hommes, soit la seule application pratique de la connaissance de la trisomie 21 est plus qu’un crève-cœur… »

La question de l’avortement agite maintenant toute l’Europe. La campagne médiatique, en France, s’étend à l’avortement de tous les indésirables : « Un bébé ne devient légalement une personne que lorsqu’il est né »; « une femme a le droit de faire ce qu’elle veut de son corps. » Arguments spécieux, auxquels maints catholiques se montrent perméables, parfois même au point de les propager.

Quand les médias engagent le débat, Jérôme Lejeune est invité dans des émissions télévisées à “grande écoute” : ses interventions lui valent des lettres bouleversantes de personnes handicapées de naissance, témoignant que leur vie est riche et unique, ainsi que des lettres de parents d’enfants trisomiques qui disent l’affolement de leur fils ou de leur fille lorsqu’ils ont compris qu’on veut tuer ceux qui leur ressemblent. La clarté de ses réponses, sa sérénité, l’assurance puisée à la fois dans la connaissance de ses malades et dans sa ferme volonté de les défendre troublent ses détracteurs… Bientôt il ne sera plus réinvité et les insultes pleuvront : « À mort Lejeune et ses petits monstres. » Mais inébranlable, il reste pour tous « la voix des sans voix » celui qui ose prendre publiquement la parole pour défendre les enfants et la dignité de la vie humaine.

Les tracasseries administratives, qui, à partir du vote de la loi Veil, ont commencé à le viser notamment sous la forme de contrôles fiscaux répétés, prennent une tournure plus aiguë. Ses crédits de recherche sont supprimés. Indignés par ce procédé, des laboratoires américains et anglais lui octroient des crédits privés. Cette solidarité désintéressée lui permet de reconstituer une équipe de chercheurs animés des mêmes motivations. Il n’a qu’une obsession: soulager la souffrance de ses patients.

Le 5 août 1993, le Saint-Père crée une Académie pontificale pour la Vie, consacrée à la défense de la vie. Jean Paul II en propose la présidence au professeur Lejeune. Entre les deux hommes, il y a en effet convergence: l’amour de la Création et le désir de préserver la dignité de toutes les vies humaines. Ils savent que l’avortement est la principale menace contre la paix. Mais en novembre 1993, des résultats médicaux ne laissent au professeur aucun doute sur son état de santé. Un cancer du poumon est déjà très avancé. Jusqu’à la fin, il s’efforce de rédiger les statuts de l’Académie et le serment des Serviteurs de la vie. Il continue aussi à recevoir les appels téléphoniques des familles des patients et à les réconforter.

Le Vendredi saint, il confie à ses enfants qui lui demandent ce qu’il veut léguer à ses petits malades: « Je n’ai pas grand-chose… Alors, je leur ai donné ma vie. Et ma vie, c’est tout ce que j’avais. » Puis, ému, il murmure: « Ô mon Dieu! C’est moi qui devais les guérir et je m’en vais sans avoir trouvé… Que vont-ils devenir? »
Le dimanche de Pâques, vers sept heures, il rend l’esprit. Dehors, les premières sonneries de cloches se font entendre : c’est le jour de la Résurrection, le jour de la Vie, celle qui ne finit pas.

Le 4 avril, le pape Jean Paul II écrit au cardinal Lustiger : « Je suis la Résurrection et la Vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » (Jn 11,25) Ces paroles du Christ viennent à l’esprit alors que nous nous trouvons face à la mort du professeur Jérôme Lejeune. Si le Père des Cieux l’a rappelé de cette terre le jour même de la Résurrection du Christ, il est difficile de ne pas voir dans cette coïncidence un signe. […] Nous nous trouvons aujourd’hui devant la mort d’un grand chrétien du XXe siècle, d’un homme pour qui la défense de la vie est devenue un apostolat. Il est clair que, dans la situation actuelle du monde, cette forme d’apostolat des laïcs est particulièrement nécessaire… »

Le procès de canonisation de Jérôme Lejeune a été ouvert à Paris le 28 juin 2007.

Cette biographie s’inspire largement des ouvrages de : Clara Lejeune, La vie est un bonheur – Jérôme Lejeune, mon père ; Jean Marie Le Méné, Le Professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne ; Anne Bernet, Jérôme Lejeune (biographie).

Par AUDE DUGAST, pour Il est vivant n°259, avril 2009

Poète et homme de prière : « Regardez le monde est beau »

Le plus beau recueil de prières et de poésies de Jérôme Lejeune, c’est sa vie. Il a écrit peu de poèmes mais composa sa vie comme un hymne à la beauté, avec la liberté des amoureux. Jean Paul II invitait à « Ouvrir les yeux de l’âme », voilà qui décrit l’attitude intérieure de Jérôme Lejeune: communier par la Création à son Créateur, en promenade ou derrière son microscope et contempler le visage du Christ dans les traits de l’enfant souffrant.

Sa vie fut ouverture au mystère, comme celle des poètes et des mystiques, et de cet émerveillement quotidien est née l’action pour rétablir l’harmonie quand la nature est défaillante.

Ainsi a-t-il pu percer certains secrets de la vie et devenir passeur d’espérance, ainsi a-t-il pu filer comme une étoile vers Celui qui attire toute chose et tout être à lui. Ainsi ses poésies étaient-elles prières.

Ainsi chantonne doucement
Un vieux cœur en s’en allant
Femme aimée, très chers enfants
Beaux-enfants, petits enfants,
Frères, nièces, tous parents,
Prenez-en gré je vous en prie
Si ne faufile hors du temps
De l’autre côté de la vie
Où le Seigneur nous attend.
À tous grand merci disant.
À Dieu, sa merci demandant.
Ainsi chantonne en s’en allant…

Ce poème écrit par le professeur Lejeune a été retrouvé dans son sous-main après sa mort.

“Jérôme Trouvetout”

Son intelligence hors du commun étonnait par son extrême fécondité. Ses doigts comme son esprit n’étaient jamais en repos, toujours occupés à construire, réparer, embellir ou sculpter un dizainier. Dans son atelier au fond du jardin, “antre” fort éloigné des modèles de magazines de bricolage, il y avait une multitude d’objets cassés à réparer: poupées, arrosoirs, lunettes. Et comme tout peut être utile à l’esprit ingénieux, il transformait en quelques heures un fer à repasser et un manche à balai en un outil de jardinage “révolutionnaire” pour brûler les mauvaises herbes, ou quelques roulettes et planches de bois, en valise à roulettes avant-gardiste, sans parler de la confection de lunettes astronomiques ou de ballons dirigeables.

Jérôme Lejeune et Jean Paul II

13 mai 1981. Jérôme Lejeune et son épouse sont à Rome. Le Saint-Père désire les recevoir en audience privée. Après l’entretien, le Pape les retient spontanément à déjeuner. Une grande amitié est née. Le jour même, en rentrant à Paris, ils apprennent avec stupeur l’attentat dont Jean Paul II vient d’être victime place Saint-Pierre juste après les avoir quittés.

3 avril 1994. Wanda Poltawska, amie de Jean Paul II, raconte. « J’étais à table avec le Saint-Père quand Mgr Stanislas nous a appris la mort de Jérôme. Le Saint-Père fut très triste. Ce fut pour lui un choc terrible. La réponse du Saint-Père fut significative avec un geste de la main il dit : “Mon Dieu, j’ai besoin de lui…” Ce sont les secrets de Dieu » (Lettre de la Fondation Jérôme Lejeune N° 37, mars 2004).

Août 1997. Jean Paul II en France pour les Journées mondiales de la jeunesse, bouscule le programme de son voyage, malgré sa fatigue et les pressions contraires, il va se recueillir sur la tombe de son ami le professeur Lejeune.

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