La chronique de la semaine
Par Philomène
Il y a 3 ans presque jour pour jour, nous nous retrouvions entre quatre murs.
Le monde extérieur devenait menace. Ma maison devenait cocon. Mon mari et mes enfants (presque) mon seul horizon.
Pendant quelques mois, nous nous sommes repliés sur ce court paysage. Nous avons pris des nouvelles de nos familles, certes.
Oui, je suis allée marcher avec ma voisine âgée de 88 ans et je lui ai fait quelques courses. J’ai appelé ceux que je savais seuls chez eux.
Mais pour le reste, je m’occupai des miens. Là où, précédemment, nous maintenions un équilibre entre vie professionnelle, vie familiale, vie de couple, vie spirituelle et engagements divers et variés, vivant à 100 à l’heure, désormais notre vie tournait autour de notre vie de couple et familiale. Et nous tâchions de garder coûte que coûte un semblant de vie spirituelle.
Et puis la vie a repris. Pas tout à fait celle d’avant. On s’est rués sur les proches que nous n’avions pas vus depuis longtemps. On s’est shooté aux retrouvailles. On s’est juré qu’on allait capitaliser sur ce que nous avions appris pendant le confinement pour ne pas refaire les erreurs du passé. C’était tellement bon de profiter des enfants et d’avoir du temps, on s’est promis d’y être vigilant.
Alors quand on nous a proposé tel engagement, on a dit non, parce qu’on n’avait plus le temps. Quand il a fallu donner un soir dans la semaine, c’était compliqué parce que, « tu comprends, il y a les enfants ». Là où, avant, nous allions au Forum Zachée pendant le week-end de l’Ascension, pour nous former, nous enrichir, nous donner, désormais c’est du temps en famille, avec des amis. Du temps pour profiter. C’est un peu plus difficile qu’avant de consacrer une semaine de nos vacances pour une session d’été à Paray.
Jusqu’à ce matin, je me disais que ça avait du bon. Qu’on était sortis de la frénésie d’avant. Qu’on se consacrait à l’essentiel : notre famille.
Et puis j’ai lu ces mots d’Adrien Candiard dans son dernier livre[1]: « Le cœur humain est fait pour se donner. Quand nous faisons le contraire, quand nous accumulons, quand nous sécurisons, quand nous entassons, quand nous économisons, nous laissons pourrir nos richesses. Vivre pour soi, ce n’est pas vivre. Celui qui veut garder sa vie la perd ; celui qui la donne la sauve en vie éternelle, c’est ce que ne cesse de nous dire l’Evangile. (…) Nous voulons rester dans notre logique : il faut être riche pour pouvoir donner ; d’ailleurs, si nous étions plus riches, nous donnerions plus. Mais ne voyons-nous pas dans notre entourage que c’est toujours à ceux qui sont déjà très pris que nous pouvons demander un service, tandis que les moins occupés sont aussi les moins disponibles (…) ? La disponibilité n’est pas une question d’agenda, mais une façon d’être ; les disponibles n’ont pas plus de temps que les autres, ils en ont même moins, ils n’en ont même plus, parce que leur temps, ils l’ont déjà donné. Ils ne vivent pas pour eux-mêmes. Il n’est du coup plus question de mégoter, de grappiller, de négocier. »
La claque. Je compte mon temps. J’en suis avare. Je le garde jalousement. Et en plus, je fais cela en toute bonne foi. Ce soir, ça me saute à la figure : c’est de mon superflu que je donne. L’essentiel est bien gardé, au chaud, resté dans le cocon de ma maison.
Pourtant, je me souviens de cette joie que j’éprouvais. Pas un vague plaisir, non, cette joie profonde de m’être donnée. D’avoir aimé de tout mon cœur, bien au-delà de mes propres forces. De n’avoir pas compté et d’avoir reçu au centuple. Je me souviens du regard admiratif de nos enfants, aussi. Nous les sentions fiers de voir que leurs parents se donnaient généreusement. Bien sûr, le rythme familial était à surveiller comme le lait sur le feu, à constamment équilibrer. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, quand on prend l’apéro avec les copains, ou qu’on est posés sur notre canapé, je ne vois pas la même lueur dans leurs yeux… et pour cause.
Ce carême a été l’occasion d’interroger un certain nombre de mes habitudes. De faire le tri pour me rapprocher de Jésus. D’ailleurs, j’ai lu ce livre d’Adrien Candiard plutôt que de surfer sur je ne sais quel réseau social. Je suis certaine que c’est un message de la part de Dieu lui-même. J’espère que je ne le laisserai pas sans réponse…
[1] Quelques mots avant l’apocalypse (éditions du Cerf, septembre 2022)