« Un guide sur mon chemin de conversion »

Cet article fait partie du dossier thématique :Saint François d’Assise →

Christine Fisset, qui a longtemps travaillé à l’association Le Rocher Oasis des Cités, s’est également engagée le 4 octobre 2016 dans la Fraternité franciscaine séculière, ou tiers-ordre franciscain. Aujourd’hui, avec son mari Émeric, elle lance le projet Propolis.

Christine Emeric PropolisEn novembre 2012, j’ai été recrutée par l’association Le Rocher comme responsable des relations institutionnelles. La caractéristique du Rocher, dont la devise est « Oser la rencontre, choisir l’espérance », est d’avoir des équipes qui viennent s’installer dans une cité pour y mener des activités socio-éducatives, aux côtés des jeunes et des familles. Je me suis donc établie à Bondy nord. Et, dans le même temps, j’ai intégré la fraternité séculière Arc-en-Ciel de Clichy-sous- Bois.

Comment relire mon expérience au Rocher à la lumière de la spiritualité franciscaine ?

L’actualité de François dans les cités

François joint toujours le geste à la parole. Je le sentais confusément mais maintenant j’en suis sûre : si je ne crée pas les conditions physiques d’une vie avec les personnes que je veux servir, je ne les sers pas. Si j’habite le centre de Paris et que je m’engage comme bénévole dans une cité une ou plusieurs heures par semaine, je ne peux pas comprendre les gens ni tisser de liens avec eux. Je reste en contact les 9/10e de mon temps avec le monde qui est le mien. Alors que le fait de vivre à Bondy nord m’ouvre naturellement une voie d’accès aux habitants, devenus mes voisins.

« Les pauvres sont nos maîtres. » Les habitants du quartier sont en majorité d’origine africaine et beaucoup ont fui la guerre ou la misère. À leur contact, j’apprends à revenir aux choses essentielles, ils m’initient à une simplicité et une franchise dans les relations, sans les “manières” qui nous coupent si souvent de la vérité. Je suis aussi éduquée à la joie de vivre, à force de voir celle – vissée au corps – des femmes de la cité, dont beaucoup supportent un quotidien très lourd.

« François et le lépreux. »

Au Rocher, l’accueil est inconditionnel. Toute personne qui sonne à la porte est accueillie. Pour lui donner un coup de main, pour l’inscrire dans une activité, ou juste pour discuter autour d’un café. Des personnes en très grande pauvreté sont ainsi devenues familières du Rocher, qu’elles considèrent aujourd’hui comme « leur deuxième famille ».

« François et le brigand. »

Combien de fois avons-nous l’occasion de discuter avec les « jeunes du trafic », en les rencontrant sur notre chemin, par exemple en revenant de la poste ? Aujourd’hui l’un d’entre eux a décidé d’en sortir et de se faire accompagner pour trouver du travail. Bien sûr, nous savons que rien n’est jamais acquis avec eux. Les trous d’air sont nombreux. Mais ce qui compte, c’est qu’ils sachent que leur avenir compte pour nous et que notre main leur est toujours tendue.

« François et le sultan. »

Plus de 80 % des personnes qui fréquentent Le Rocher sont de confession ou de culture musulmane. Elles savent que nous sommes chrétiens – même si Le Rocher est une association laïque – parce que nos locaux appartiennent à la paroisse du Christ- Ressuscité. Des habitants nous disent avoir confiance en nous car nous sommes « croyants », comme eux. Ils savent aussi que nous les respectons dans leur propre foi et que nous nous y intéressons. Je participe ainsi, avec quelques autres, en marge du Rocher, à un groupe d’échanges interreligieux avec l’imam de la mosquée de Bondy. Nous sommes soucieux, dans le même temps, de lutter contre le communautarisme en favorisant au maximum la rencontre entre personnes de communautés différentes, notamment dans des « repas saveurs du monde » où chacun partage le plat de l’autre. Certains nous confient que, sans Le Rocher, ils n’auraient jamais parlé à leurs voisins d’immeuble d’une autre origine que la leur.

« Ce qui me semblait amer fut changé pour moi en douceur. »

Combien d’exemples à donner ! Bintou, 11 ans, qui me voyant pour la première fois lance, « Toi, dégage, t’es pas d’ici ! » et qui, deux ans plus tard, lors d’une fête de Noël dans une maison de soins, tient à visiter les plus malades pour leur apporter cartes et chocolats. Fatoumata, 17 ans, meneuse indomptable d’une bande d’adolescentes pendant un camp à la campagne, fumant la chicha dans le dortoir et refusant de mettre les mains dans la terre, et qui, en fin de semaine, plante des piquets avec ardeur et compose une chanson de remerciement à vous tirer les larmes des yeux. Lassana, 6 ans, qui ne tient pas en place à l’aide aux devoirs et agresse tout enfant passant à sa portée, et qui, en fin d’année, ne bouge quasiment plus de sa chaise et déclame, avec le ton, une poésie du XVIe siècle. Le point commun à tous ces fioretti ? Notre amour et notre patience testés sans relâche pour voir « si c’est du vrai ».

« Tout est lié »

Lorsque je travaillais au Rocher, il ne se passait donc pas un jour sans que la feuille de route tracée par François il y a huit siècles ne se révèle d’une parfaite actualité pour vivre en fraternité avec tous, dans les cités de France.

Parallèlement à cette mission, je travaillais depuis 2015 avec mon mari Émeric à un projet de centre de formation sur l’écologie environnementale et sociétale. Ce projet rejoignait en effet nos aspirations respectives : celle d’Émeric à protéger la nature, née de ses nombreux voyages à pied dans des contrées sauvages et la mienne à mener une vie plus fraternelle avec toutes les créatures, inspirée de notre frère François. Nous nous étions aussi fortement sentis encouragés dans notre entreprise par la sortie de l’encyclique Laudato si’ en juin 2015, qui montrait bien que « Tout est lié ».

Le projet Propolis

Nous avions assez rapidement baptisé notre projet Propolis. L’allégorie nous semblait bonne. Nous voulions que notre projet serve l’homme et la nature. La propolis est en effet une substance fabriquée par l’abeille pour entretenir et assainir la ruche, en colmater les fissures. Il suffisait de considérer la ruche comme notre « maison commune » : planète ou/ et communauté humaine. Nous cherchions bien sûr un lieu pour établir Propolis et de fil en aiguille, une piste s’est ouverte en Aveyron, fin novembre 2017. L’abbaye cistercienne de Bonnecombe, au sud de Rodez, était en effet disponible à ce moment-là et l’évêché de Rodez et Vabres, qui en est propriétaire, cherchait un repreneur. Nous avons décidé de faire le saut en nous installant en Aveyron, non loin de Bonnecombe, en avril 2019, puis en nous établissant à l’abbaye même le 1er août 2019. Nous continuons aujourd’hui d’étudier la faisabilité de notre projet dans ce bien, bâti en 1167 et très largement reconstruite à la fin du XIXe siècle, heureusement dans un style médiéval.

S’inspirer de la nature

Notre projet Propolis vise à promouvoir un style de vie sobre et heureux, en faveur de cinquante étudiants de septembre à mai, qui viendront se former sur les questions environnementales et sociétales, en vivant à Bonnecombe, avec des cours le matin et des activités manuelles et ateliers d’échanges de talents l’après-midi. Mais, sans attendre le lancement du projet, nous tentons déjà de convertir dans ce sens notre vie quotidienne, encouragés par les traditions rurales et la beauté de la nature de notre nouveau territoire d’adoption.

Au-delà des multiples efforts pour changer de mode de vie pratique, en tant que franciscaine, je ne peux qu’aspirer à une conversion écologique plus profonde, qui soit d’abord une révolution de la fraternité. Un concept en pleine expansion, dans les milieux engagés en la matière, illustre bien la démarche, c’est celui de permaculture, qui vise à s’inspirer de la nature pour développer des systèmes en synergie, fondés sur la diversité des cultures, leur résilience, leur productivité naturelle et leur interaction fertile. Nous voulons en effet que notre projet Propolis soit “permaculturel”, en favorisant certes différents types de productions agricoles selon cette méthode, mais aussi et d’abord en permettant des rencontres fructueuses entre les personnes.

Accepter d’être des étrangers

Notre projet vise ainsi à brasser les profils des participants au cursus de formation : étudiants en césure, actifs en reconversion, salariés d’entreprise, chômeurs et retraités. Nous souhaitons aussi que Bonnecombe, qui est très grande et comporte en plus de l’abbaye même, une ferme et un moulin, puisse accueillir des activités annexes au centre de formation, qui viendraient l’enrichir : lieu de vie et d’accueil pour mineurs migrants ou jeunes en séjour de rupture confiés à l’Aide sociale à l’enfance, artisans du fer, du verre de la pierre et visiteurs, le tout formant comme un écosystème cohérent. Nous voulons aussi que des jeunes et familles résidant dans les cités – emmenés par exemple Le Rocher – puissent passer des séjours à Bonnecombe, en vue de renouer avec la nature et se ressourcer. Enfin, l’Association Propolis se fixe aussi comme objectif le service du département de l’Aveyron et de l’Occitanie. Ceci implique de faire découvrir et aimer ces territoires à nos futurs étudiants et peut-être avant tout, de nous insérer dans le tissu local, à commencer par celui des habitants du village dont l’abbaye dépend. Ceci prend bien sûr un temps fou. Il faut lentement se défaire de l’image de parisiens idéalistes et gagner lentement la confiance des Aveyronnais de souche, un brin méfiants. Humblement, accepter de rester pour longtemps des étrangers.

Pour nourrir ma vie de prière, je ne peux pas m’appuyer sur une fraternité séculière en Aveyron car il n’y en a pas. J’ai en revanche reçu un très fraternel accueil au sein de la fraternité de La Drèche dans le Tarn, à une heure de l’abbaye. Je m’intéresse aussi de plus près à la règle de saint Benoît et à sa devise « Ora et labora », qui structurera sans nul doute l’emploi du temps de Propolis. Bernard de Clairvaux, le grand saint cistercien, et François, le saint d’Assise, sont donc des guides bien utiles sur ce long chemin de conversion à 360 degrés !

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Le magazine Il est vivant a publié le numéro spécial :

IEV n°350 - François d'Assise, un message universel Se procurer le numéro →

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