Le groupe des Dombes, un dialogue au service d’une réconciliation

Le Groupe des Dombes, créé sous l’impulsion de l’abbé Paul Couturier, poursuit un dialogue avant tout doctrinal entre catholiques et protestants, en vue de la réconciliation des Églises.

Par le Père MICHEL FÉDOU, SJ

L’auteur

M Fedou IEV356

Michel Fédou, jésuite, professeur de patristique et de théologie dogmatique au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris, est membre du Groupe des Dombes et du Comité mixte catholiques-orthodoxes. Il a fait également partie de la Commission internationale luthéro-catholique. Il a publié :

Jésus Christ au fil des siècles. Une histoire de la christologie, Cerf, Paris, 2019.

Les dogmes, éditions jésuites, Bruxelles – Paris, 2020.

Mémoire chrétienne et expérience de Dieu. Le sens des dogmes aujourd’hui, éditions Facultés jésuites de Paris, 2022.

C’est en 1937 que, sous l’impulsion de l’abbé Paul Couturier et du pasteur Baümlin, quelques catholiques et protestants se réunirent pour la première fois dans l’abbaye cistercienne Notre-Dame des Dombes, près de Bourg-en-Bresse (01). C’était le début d’une belle aventure qui se poursuit encore. Certes, le groupe a beaucoup évolué entre-temps. Il comprend désormais une quarantaine de membres : 20 catholiques et 20 protestants (ceux-ci étant, le plus souvent, de tradition luthérienne ou réformée) ; parmi eux se trouvent à la fois des ministres ordonnés et des laïcs. Depuis une bonne vingtaine d’années, le groupe ne se réunit plus aux Dombes mais dans l’abbaye bénédictine de Pradines, près de Roanne (42). Surtout, alors que durant les toutes premières décennies il n’avait produit aucun texte, il a commencé à rédiger des « thèses » puis, à partir de 1971, des documents destinés à une plus large diffusion. Mais il est toujours resté fidèle à sa vocation initiale, celle d’un dialogue entre catholiques et protestants en vue de la réconciliation des Églises.

L’œcuménisme spirituel

Il s’agit avant tout d’un dialogue doctrinal : catholiques et protestants s’efforcent, non seulement de reconnaître ce qu’ils ont en commun, mais aussi d’identifier les divergences qui les séparent encore ; ils essaient aussi de voir ce qui peut permettre de surmonter ces divergences et d’ouvrir des chemins vers la pleine communion. Ils le font dans l’esprit de ce que l’abbé Couturier appelait l’« œcuménisme spirituel » ; lors de leurs sessions plénières vers la fin de l’été, ils participent à plusieurs offices des religieuses et ils ont aussi des temps de célébration entre eux.

Une lecture de l’histoire et de l’Écriture

Les membres du groupe, librement cooptés, choisissent eux-mêmes leurs sujets de réflexion. Quel que soit le thème retenu, ils donnent toujours une place importante à la lecture de l’histoire : comment ce thème était-il abordé durant les premiers siècles de l’ère chrétienne et au Moyen Âge, c’est-à-dire dans les périodes antérieures aux divisions du XVIe siècle ? Comment l’a-t-il été à partir du moment où ces divisions sont apparues ? Comment le mouvement œcuménique a-t-il ouvert des perspectives nouvelles ? Le groupe tient également, pour chaque sujet, à recueillir les enseignements de l’Écriture sainte. C’est ensuite seulement qu’il peut aborder de front les questions controversées et proposer des chemins qui puissent aider à les résoudre. Cette « méthode » n’a pas été choisie a priori, mais elle s’est imposée peu à peu au fil des rencontres. Pour chacun des thèmes traités, le groupe bénéficie d’exposés qui sont donnés par tel ou tel membre du groupe (voire, par des membres extérieurs qui peuvent être invités occasionnellement). Les thèmes sont longuement débattus, et quelques catholiques et protestants sont ensuite chargés de contribuer à la rédaction d’un futur texte.

Aborder des sujets sensibles pour avancer

Le premier travail qui donna lieu à un document portait sur l’eucharistie : Vers une même foi eucharistique ? (1971). Le groupe produisit ensuite un texte intitulé Pour une réconciliation des ministères (1972), puis un texte sur Le ministère épiscopal (1976), un texte sur L’Esprit Saint, l’Église et les sacrements (1979), et un texte sur Le ministère de communion dans l’Église universelle (1985). Mais le groupe savait que, aux yeux de certains, les avancées œcuméniques risquaient de mettre en cause l’identité de chaque Église ou confession chrétienne. Il fallut dès lors montrer que la fidélité à l’Évangile appelait en fait les Églises, non pas certes à renier ce à quoi elles étaient légitimement attachées, mais à convertir tout ce qui, dans leur identité ou dans la manière de comprendre celle-ci, faisait obstacle à la vraie communion : ce fut le document Pour la conversion des Églises (1991)1.

Le groupe s’engagea ensuite dans un important travail sur la Vierge Marie. Les catholiques et les protestants du groupe relurent l’histoire des pratiques et des doctrines mariales ; ils recueillirent aussi les témoignages de l’Écriture au sujet de Marie ; enfin, sur cette base, ils abordèrent les questions sur lesquelles il y avait des divergences entre leurs traditions respectives : la question de la « coopération » de Marie au salut, les dogmes mariaux de l’Immaculée Conception et de l’Assomption, la virginité perpétuelle, ou encore la dévotion envers la Vierge. Le groupe reconnut qu’il était possible de surmonter les malentendus hérités du passé et, jusqu’à un certain point au moins, de parvenir à des éléments d’accord. Son travail aboutit au document Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints (1999).

Le travail suivant porta sur l’exercice de l’autorité dans l’Église. Sur ce sujet aussi, il y avait matière à conversion de part et d’autre. Les catholiques ont beaucoup souligné, traditionnellement, la dimension personnelle de l’autorité dans l’Église (notamment à travers le ministère des évêques et du pape), tandis que les protestants ont toujours mis l’accent sur la dimension de la synodalité ; il y avait donc à reconnaître ce qui est essentiel dans chacune de ces insistances, mais à identifier aussi les excès ou abus qui ont faussé la compréhension de l’autorité et à proposer, ici encore, des chemins de conversion et de réconciliation. Ce fut le document « Un seul Maître » (Mt 23, 8). L’autorité doctrinale dans l’Église (2005). Le travail qui suivit fut de nature différente. En effet, alors que le groupe avait généralement choisi, jusque-là, des sujets sur lesquels il y avait un contentieux important, il décida de mener une réflexion œcuménique à partir de la prière qui nous est commune : le « Notre Père ». L’objectif, ici, ne fut pas d’abord de surmonter des divergences, mais plutôt de présenter le « Notre Père » d’une seule voix et d’en manifester les implications pour la communion des Églises. Les fruits de ce travail furent publiés dans le document « Vous donc, priez ainsi » (Mt 6, 9). Le Notre Père, itinéraire pour la conversion des Églises (2011).

La catholicité de l’Église

Depuis lors, le Groupe des Dombes s’est engagé dans une longue et exigeante recherche sur la catholicité de l’Église. Le mot « catholique », certes, est inscrit dans le Credo de Constantinople. Cependant il pose des problèmes difficiles, et cela d’abord parce qu’il a revêtu diverses significations dans l’histoire. Dans l’Antiquité déjà, le terme pouvait signifier « universel », mais il désignait aussi l’Église comme « catholique » par contraste avec des communautés hétérodoxes. Surtout, depuis le XVIe siècle, le mot « catholique » ne signifie pas seulement « universel », mais s’applique également, de manière spécifique, à « l’Église catholique romaine » ainsi qu’aux « Églises catholiques orientales ». Deux questions se posent dès lors. D’une part, du côté protestant, quel sens les communautés chrétiennes peuvent-elles reconnaître à l’affirmation « je crois à l’Église catholique » ? D’autre part, du côté catholique, que met-on sous le mot de « catholicité » (compte tenu du fait que, dans le passé, on s’est parfois servi de cette notion pour justifier des formes d’uniformisation liturgique ou de pastorale missionnaire qui font aujourd’hui difficulté) ? Face à de telles questions, le groupe s’est engagé, selon son habitude, dans une patiente lecture de l’histoire. Il a aussi interrogé l’Écriture Sainte pour y découvrir le fondement d’une catholicité bien comprise. Il s’est ensuite efforcé de reconnaître comment cette notion peut être aujourd’hui précisée ; de là doivent suivre des propositions de conversion pour chacune des Églises et communautés concernées. Le travail accompli devrait bientôt donner lieu, on l’espère, à une nouvelle publication du groupe. Ce serait particulièrement opportun en ces années où l’Église catholique est engagée dans la démarche synodale. Ce serait en tout cas important pour l’œcuménisme car, à travers la question de la catholicité, c’est en fait toute la question de l’Église qui se trouve elle-même engagée ; or il est justement essentiel que les catholiques et les protestants progressent sur cette question pour être en mesure d’avancer vers une communion plus profonde.

Invitation à la conversion

On ne sait pas encore quels seront les prochains chantiers du Groupe des Dombes. On peut en tout cas espérer qu’il continuera d’inviter à la conversion des Églises, car seule une telle conversion est à même de rendre possible, le moment venu, de nouvelles avancées vers la communion ecclésiale. Les membres du groupe savent au demeurant que, si nécessaires que soient les tâches du dialogue œcuménique, cette communion ne saurait être le simple aboutissement des efforts humains, mais qu’elle doit être demandée comme un don. Ils se rappellent en effet les mots de l’abbé Paul

Couturier s’adressant au Seigneur Jésus : « Accorde-nous de nous rencontrer tous en toi, afin que, de nos âmes et de nos lèvres, monte incessamment ta prière pour l’unité des chrétiens, telle que tu la veux, par les moyens que tu veux. »

1. Ces six premiers documents du groupe ont été rassemblés en un seul volume : Communion et conversion des Églises, Bayard, Montrouge, 2014.

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