« Quand l’Esprit Saint intervient, ça bouscule… »

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Depuis 2000 ans, les grands maîtres spirituels ont clairement identifié les étapes de croissance de la vie spirituelle sous l’effet de l’Esprit Saint. Un trésor à connaître par tout baptisé. Rencontre avec François-Régis Wilhélem.

Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT

PRÉSENTATION

Vignette carree Wihelem IEVMembre de l’Institut Notre-Dame de Vie fondé par le bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, le père François-Régis Wilhélem est, entre autres activités, professeur de théologie au Studium de Notre-Dame de Vie. Depuis de longues années, il fait partie du « Groupe d’Accompagnement du Renouveau. » Ce groupe, dépendant de la Conférence épiscopale et présidé par deux évêques, est chargé d’accompagner sur le plan pastoral les réalités du Renouveau en France et de servir en quelque sorte d’interface entre ces réalités et l’ensemble des évêques.

Il est vivant ! Que signifie se mettre à l’écoute de l’Esprit Saint ?

Cela consiste à ne pas être exclusivement à l’écoute de ses propres sentiments, de ses soucis, de ses émotions, etc., autrement dit… de soi-même, même si tout ce qui nous traverse peut-être intégré dans l’écoute de Dieu. Dans la vie spirituelle, quand on parle d’écoute, il s’agit d’une écoute dans la foi, une foi vivante, animée par l’espérance et la charité, dans la recherche d’un dégagement de soi. Déjà, sur le plan humain, pour écouter, il faut en quelque sorte sortir de soi ; sur le plan spirituel, écouter signifie être disponible à l’Esprit, ce qui suppose de la générosité, de la souplesse… Ceci est fondamental pour la croissance spirituelle.

Est-ce central dans la vie d’un baptisé ?

Comme l’a rappelé le concile Vatican II, le baptême comporte en lui-même un appel à la sainteté. Dans sa Lettre pour le nouveau millénaire, saint Jean Paul II écrit :

« Demander à un catéchumène : “Veux-tu recevoir le baptême ?” signifie lui demander en même temps : “Veux-tu devenir saint ?” »

Et comme seul l’Esprit Saint peut faire de nous des saints, une telle disponibilité à l’Esprit est absolument nécessaire pour notre croissance spirituelle, laquelle consiste à être de plus en plus ajusté à Dieu, à ses appels. Sans lui, nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15,5).

Saint Paul écrit qu’ « il ne s’agit pas de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (cf. Rm 9,16).

Qu’est-ce qui peut empêcher cette écoute de l’Esprit Saint ?

L’obstacle majeur, c’est précisément le manque d’ajustement de notre volonté, marquée par le péché, à la volonté du Seigneur. De façon plus positive, je dirais que dans la grâce baptismale est contenu un appel à un don de soi radical au Seigneur. L’expression consécration baptismale n’est pas anodine ! Si l’on demande à un “bon catho” : « Est-ce que tu veux donner ta vie au Seigneur ? », il va probablement répondre : « Non, non, je ne veux pas rentrer au monastère ! » Beaucoup confondent consécration baptismale et vie consacrée. Or, le baptême nous voue véritablement à Dieu ; la vie consacrée est une manière particulière de se donner à lui à travers un appel spécifique.

Les protestants fervents (évangéliques, pentecôtistes, etc.) ont mieux intégré cette dimension que beaucoup de catholiques. Chez eux, le fait de donner sa vie au Christ prend une place très forte. Lors de rassemblements, bien souvent, le prédicateur invite, de façon publique, à un tel engagement.

Mais, nous le savons par expérience, nous n’en n’avons jamais fini de faire le don de nous-mêmes ; c’est pourquoi il doit sans cesse être renouvelé. La question des obstacles à l’écoute de l’Esprit nous ramène à celle du discernement. Dans l’Exhortation apostolique La joie et l’allégresse, le pape François consacre plusieurs paragraphes au discernement. Il se demande « Comment savoir si une chose vient de l’Esprit Saint, ou si elle a son origine dans l’esprit du monde, ou dans l’esprit du diable ? Le seul moyen, c’est le discernement. » (n° 166) Dans les numéros qui suivent, il insiste sur le fait que l’aptitude au discernement est devenue particulièrement nécessaire aujourd’hui et souligne que le discernement a pour but de nous aider à suivre de plus près le Seigneur et à « ne pas gaspiller ses inspirations » (n° 169).

Dans quel cadre peut s’opérer ce discernement ?

Dans notre vie concrète, nous sommes constamment en train de discerner. Cela se joue dans les grandes comme dans les toutes petites choses. Mais rien n’est petit quand on cherche à accomplir la volonté de Dieu. Un vrai discernement suppose une écoute constante de l’Esprit. Dans la vie quotidienne, plusieurs actions peuvent être possibles, toutes aussi légitimes.

Un moyen de discernement peut être de se demander, par exemple : « Dans le choix que je vais poser, qu’est-ce qui va m’aider à vivre une plus grande charité ? », car c’est toujours la charité qui est le critère suprême de tout.

Y a-t-il des étapes utiles à connaître pour aider à ce discernement ?

En effet ! Les maîtres spirituels nous aident à les identifier. Ainsi, Thérèse d’Avila apporte-t-elle de précieuses lumières sur ce point. Elle distingue comme deux phases dans la vie chrétienne.

Une première, fortement marquée par les rudes combats des débuts (commencer une vie de prière, éviter le péché, etc.), aboutit, avec la grâce de Dieu, à l’heureux résultat d’une « bonne vie chrétienne » (piété, charité, honnêteté, etc.). Dans cette phase cependant, c’est nous qui restons les “maîtres à bord”. Tout se passe comme si le Seigneur se cachait, en nous laissant être les pilotes de notre navire. Mais sur la base de cette fidélité, à un moment donné, et par un nouveau don de sa grâce, il nous invite à « avancer au large », autrement dit à nous laisser emporter par l’Esprit. S’ouvre alors une deuxième phase : la phase “mystique”, où c’est le Seigneur qui conduit principalement et progressivement notre vie. Comme le dit votre fondateur Pierre Goursat :

« Jusqu’à présent on a voulu faire des choses pour Jésus. Maintenant il nous demande simplement d’obéir et de faire ce qu’Il nous dit, d’écouter » (Entretien, 1976). Et quand l’Esprit intervient dans notre vie, ça bouscule… mais cela fait partie de la croissance spirituelle normale.

Des auteurs comme Ignace de Loyola, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Thérèse de l’Enfant-Jésus, Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, et bien d’autres encore, aident à discerner ces passages spirituels qu’il est très important de connaître pour collaborer de façon toujours plus ajustée à l’œuvre de l’Esprit.

Que faire quand l’action de Dieu se fait plus forte ?

Cela peut être déconcertant : on se demande ce qui se passe ! L’accompagnement spirituel a ici toute son importance. Un fin discernement est à poser afin d’aider la personne à poursuivre son chemin, sinon elle risque de stagner, voire de régresser, en essayant de reprendre les choses en main. Elle n’y arriverait d’ailleurs pas et pourrait se retrouver dans une douloureuse impasse.

Est-ce que tout le monde passe nécessairement par ces phases ?

Dieu conduit chacun de façon unique. Il ne faut jamais interpréter les écrits des maîtres spirituels à travers une grille étroite par laquelle tout le monde devrait passer ! Mais ils fournissent de très précieux repères qui peuvent éclairer tout chrétien.

Comment parvenir à discerner si ce que nous avons reçu vient de l’Esprit Saint ?

L’action de la grâce est mystérieuse en elle-même ; on ne met pas la main sur elle. Votre question renvoie à celle, fort délicate, du discernement de l’expérience spirituelle. Une image peut nous aider. Celle d’un lac tranquille, agité par aucun mouvement extérieur.

On y laisse tomber une pierre à la verticale. À partir du point d’impact de la pierre avec l’eau, des ondes s’étendent sur sa surface. Le contact avec Dieu par la foi, c’est le point d’impact : cela reste caché. Mais, du fait même de cette rencontre, se produisent des « ondes de choc », des résonances particulières dans notre humanité concrète, car nous expérimentons les choses spirituelles à travers le prisme de notre être, de notre tempérament.

Le grand critère de discernement ce sont les fruits spirituels issus de cette rencontre (cf. Ga 5,22-23). Saint Jean de la Croix donne ici un critère intéressant, il dit : si vous avez reçu une grâce du Seigneur, déjà elle a produit son effet. L’important est alors de découvrir ce qu’elle apporte de nouveauté pour s’y conformer, sans trop s’attarder à en analyser les résonances sensibles.

En ce sens, saint Ignace distingue le moment de la réception de la grâce et le temps « qui suit aussitôt » (cf. Exercices, n° 336). Il avertit par là du risque réel de projeter nos propres vues sur la grâce, alors qu’il s’agit de discerner l’appel qu’elle contient, mais sans le colorer à notre manière.

Auriez-vous un exemple ?

Un adulte se convertit et est ébloui par la grâce reçue. Il est bouleversé par le fait que Dieu l’aime, s’intéresse à lui, qu’il est appelé à suivre le Christ, etc. et il en déduit trop vite qu’il doit devenir prêtre ou consacré(e). Mais une chose est d’être appelé à devenir un vrai « disciple missionnaire », une autre d’être appelé au sacerdoce ou à la vie consacrée. Il s’agit donc de discerner ce que contient la grâce reçue et de s’interroger sur la manière d’y répondre.

Un mot pour conclure ?

Depuis que je sers le Renouveau, je cherche à mettre en lumière le lien entre ce « courant de grâce » et ce que l’on appelle « la vie mystique ». Contrairement à une idée très (trop !) répandue, le cœur de la vie mystique ce ne sont pas les grâces extraordinaires, mais la vie chrétienne menée sous l’influence habituelle et prépondérante des dons de l’Esprit Saint que nous avons tous reçus au baptême.

Or, précisément, le Renouveau est un puissant appel à entrer dans une vie qui soit réellement conduite par l’Esprit. Il y a là une ouverture. Pierre Goursat, votre fondateur, l’a tellement bien compris et vécu !

À LIRE

Accueillir et discerner les grâces de l’EspritEdB, François-Régis Wilhélem

À la lumière de la grande tradition mystique catholique, en particulier celle du Carmel, l’auteur donne de précieuses indications sur le discernement qui doit accompagner toute expérience spirituelle, afin de vérifier sa capacité à contribuer authentiquement à la croissance spirituelle de la personne.

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Le magazine Il est vivant a publié le numéro spécial :

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