« Faire de l’Eglise une maison sûre » – Rencontre avec François Content et Michèle Menut

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La Communauté de l’Emmanuel a mis en place la Commission de prévention et de lutte contre les abus (CPLA). François Content et Michèle Menut sont vice-président et coordinatrice de cette Commission, et ils nous expliquent sa raison d’être et son fonctionnement.

Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT

PRÉSENTATION

François Content est vice-président de la Commission de Prévention et de Lutte contre les Abus (CPLA) dont le modérateur général de la Communauté de l’Emmanuel est le président.

François Content a été directeur général des Apprentis d’Auteuil de septembre 1995 à juin 2015 et a été confronté au drame des abus. À l’époque, il avait œuvré à la mise en place d’un système de traitement des cas pour la protection des mineurs.

Michèle Menut est coordinatrice de la Commission. Psychologue pendant 40 ans, Michèle a travaillé les 13 dernières années dans le domaine de la protection judiciaire des mineurs ; elle s’est formée à la thérapie familiale et conjugale systémique, avec une spécialisation « Prise en charge des familles dans lesquelles un enfant a été victime d’abus ». Elle travaille actuellement en libéral pour faire de l’analyse des pratiques auprès de professionnels travaillant en protection judiciaire des mineurs.

Vignette Facebook Content Menut IEV354

Pourquoi la Communauté de l’Emmanuel a-t-elle créé une Commission de Prévention et de Lutte contre les Abus (CPLA) ?

François Content Compte tenu du nombre d’enfants accueillis qui ne cessait d’augmenter l’été aux sessions de Paray-le-Monial, et avec comme corollaire un risque d’abus accru, les responsables de la Communauté ont décidé en 2016 de faire un audit des sessions sur cette question. Ce travail m’a été confié. Je l’ai réalisé avec le directeur d’audit de la Fondation d’Auteuil. À la fin de l’audit, nous avons remis un document avec 45 recommandations. Par exemple, nous avons suggéré de vitrifier toutes les portes des confessionnaux, de mettre des bracelets aux participants pour les identifier (des personnes extérieures s’introduisant parfois parmi eux), de faire accompagner les enfants aux toilettes toujours par deux personnes, etc.

Nous sommes retournés aux sessions en 2017 pour voir comment ces recommandations avaient été comprises et mises en œuvre. Et chaque année, nous faisons un bilan des mesures prises et des modifications ou compléments à apporter. Nous souhaitons veiller aussi à ce que la même rigueur soit appliquée dans tout lieu de rassemblement de l’Emmanuel avec des enfants (Chézelles, sessions hors Paray, etc.).

C’est dans cette même dynamique que, à la suite de la Lettre au Peuple de Dieu du pape François (août 2018), la Communauté de l’Emmanuel a décidé, sous l’impulsion du modérateur général et du conseil international, la création de la Commission. Elle est composée, en interne, du responsable de la communication de l’Emmanuel, de la responsable du service juridique, du responsable des prêtres de l’Emmanuel, d’un prêtre, d’une psychologue, du directeur des projets à l’international et d’une assistante. Des personnes compétentes externes en font également partie. Dès le début, un processus d’écoute des victimes a été mis en place. Cela donne lieu à un compte rendu que la Commission examine. Elle évalue la situation et prend les décisions.

Michèle Menut Je suis arrivée au sein de la Commission en novembre 2019, au moment où l’activité commençait à évoluer. Les sollicitations se sont élargies et un gros travail de traçabilité et d’archivage des situations a dû être entrepris. La Commission a progressivement mis en œuvre le mode de fonctionnement que nous avons actuellement.

Et comment fonctionne la Commission ?

FC Parmi ses membres, trois personnes forment un bureau opérationnel pour le suivi du quotidien. Ce bureau se réunit chaque semaine pour faire le point sur l’avancement des situations. Des outils de travail et procédures, notamment un tableau de suivi, ont été mis en place. Ce tableau nous permet de suivre le dossier qui a été pris en main, la décision qui a été prise, et si cette décision a été menée jusqu’au bout. Ainsi rien n’est oublié. Chaque interpellation mérite une réponse différenciée.

MM Certaines actions sont menées directement par le bureau, mais toutes les situations sont soumises à la Commission pour un discernement collectif et nous prenons les décisions ensemble. Chaque personne est unique et nous avons le souci de lui répondre de manière différenciée en prenant en compte ses attentes et ses besoins.

C’est une commission interne : comment garantir son impartialité ?

FC Pour garantir à la Commission un fonctionnement sain, un Comité d’Orientation et de Surveillance a été créé (COS). Ce comité est composé de six membres : 3 membres externes à la Communauté (un avocat, un psychiatre et un canoniste) et 3 membres de la Communauté hors Commission. La mission de ce comité est de valider ou non la façon de fonctionner de la Commission. C’est une instance de supervision.

MM Nous présentons aux membres de ce comité un bilan tous les 6 mois ; nous évoquons avec eux les difficultés que nous avons pu rencontrer, nos questions, mais aussi nos perspectives.

FC Par exemple, nous nous demandions si les écoutants devaient être membres de la Communauté ou pas. Ils ont estimé que oui : en effet, ils ont considéré que si des personnes s’adressaient à l’Emmanuel, c’était parce qu’elles attendaient d’entrer en dialogue avec la Communauté, c’est donc un plus pour les victimes de pouvoir s’adresser à des membres de la Communauté.

Certaines personnes préfèrent à l’inverse se tourner vers d’autres instances parmi toutes celles qui existent désormais.

MM L’impartialité est également assurée par des procédures très rigoureuses et exigeantes. Ainsi, aucune sollicitation ne reste dans l’ombre.

FC Par ailleurs, nous publions un bilan chaque année. Nous pouvons ainsi être interpellés par ce biais. Enfin nous sommes en lien avec l’Église, notamment le Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie dont dépend la Communauté de l’Emmanuel.

Au mois de juillet dernier, le premier bilan détaillé de l’année 2020 a été remis à son responsable, le cardinal Farrell, par le modérateur général, Michel-Bernard de Vregille.

MM Ce bilan, résumé et “anonymisé”, est accessible sur le site de l’Emmanuel (emmanuel.info).

FC Dans notre travail, nous sommes aussi très vigilants à être en réseau et à “externaliser” quand c’est nécessaire. Ainsi, lors de la création de la Commission, pour rédiger le code des règles et procédures, nous avions travaillé avec d’autres communautés, et bien sûr, avec Madame Ségolène Moog, qui est, pour la Conférence des évêques de France, la déléguée pour la prévention et la lutte contre la pédophilie.

MM Ce document d’une vingtaine de pages est également accessible à tous sur le site de l’Emmanuel.

FC De plus, afin que cette Commission soit pérenne, le Conseil International a décidé de l’inscrire dans les statuts de la Communauté de l’Emmanuel. Cela sera effectif à partir de 2022.

Vous avez évoqué également l’importance d’externaliser si nécessaire, c’est-à-dire ?

FC Outre le fait d’être écoutées et reconnues comme victimes, les personnes que nous accueillons ont souvent besoin de soins : nous constituons donc un panel de contacts de spécialistes vers qui les orienter. Pour les actions judiciaires civiles ou canoniques qu’elles ont à mener, nous devons, là aussi, être à même de les conseiller.

Qu’en est-il du traitement des abus d’autorité ou de pouvoir ?

MM La Commission est également compétente pour écouter ce type d’abus. Il est en effet fondamental que les communautés et associations prennent ces types d’abus à bras-le-corps. La Communauté s’y attelle, car elle sait que même des paroles peuvent détruire quelqu’un durablement.

Pouvez-vous dans ce cas jouer un rôle de médiateur ?

FC C’est en effet ce que nous souhaiterions pouvoir faire. Nous accueillons, nous écoutons toutes les parties et essayons de voir comment il serait possible ou non de rétablir la relation. Dans certains cas, nous pouvons être présents à l’entretien avec le responsable sollicité de façon à garantir une neutralité et une objectivité dans le compte rendu.

MM La Commission peut ainsi s’assurer que la situation a bien été prise en charge.

FC Ainsi, la Commission a vraiment un rôle de médiation, et non de sanction. Elle écoute, analyse et prend les décisions nécessaires. Si la situation qui nous est soumise concerne la justice civile, nous transmettons au Procureur de la République ; si cela relève du droit canonique, nous transmettons à l’évêque du lieu ; si c’est du registre de la gouvernance interne, le dossier est transmis aux personnes en charge de la responsabilité. À nous de veiller à ce que le travail soit bien mené et mené jusqu’au bout.

MM C’est en effet important que nous n’ayons pas ce rôle de sanction. Sinon, le risque serait d’écouter la personne à travers ce prisme-là, qui serait déformant.

Comment vous assurez-vous du suivi des situations ?

MM Au-delà du suivi administratif de la situation (tableau de suivi, compte rendu…), nous avons le souci d’être attentifs aux personnes en gardant contact avec elles pour prendre de leurs nouvelles et échanger sur l’évolution de leur situation.

FC Pour certaines situations, nous spécifions dans les documents qu’il faudra refaire le point dans un an ou cinq ans. C’est la force des procédures.

Avez-vous des actions pour former et sensibiliser les responsables et les membres de la Communauté de l’Emmanuel ?

FC Bien sûr. Nous cherchons en effet à susciter toute une dynamique par des sensibilisations, des formations et pour motiver chacun. Car on ne peut parvenir à créer un lieu sécurisé que si tout le monde est mobilisé. Il est indispensable que chacun se sente concerné. Les membres des différentes

instances de la Communauté se sont d’abord formés, notamment pendant deux ans via le séminaire d’été, puis les responsables de province et des grands services (prêtres, consacrés, jeunes, écoute…) le sont à leur tour. Pour cela nous avons fait venir des intervenants extérieurs du CRIAVS1, un organisme public spécialisé.

Il est essentiel ensuite que l’information parvienne dans tous les secteurs et lieux de vie, que chaque membre de l’Emmanuel soit sensibilisé à la prévention et à la lutte contre les abus.

De même, un travail est en cours d’élaboration sur le plan international.

Depuis sa création, ce travail de la Commission contribue-t-il à des évolutions dans la vie de la Communauté ?

FC La Commission s’inscrivant dans une lutte et une prévention, son travail fait inévitablement surgir des questions à tous les niveaux. Lors des séminaires d’été des instances de gouvernance 2019 et 2020, quatre questions ont été notamment pointées :

Que faut-il améliorer dans la formation à l’accompagnement ?

– Comment la “règle de la non-critique” doit-elle être comprise ?

– Comment l’autorité doit-elle être exercée (à quel moment passe-t-on à l’abus de pouvoir ?) ?

– Comment le charisme de la Communauté doit-il être compris, actualisé et mis en œuvre par le plus grand nombre ?

Des groupes de travail sont créés pour avancer sur toutes ces questions-là.

Un mot pour conclure ?

FC et MM Le drame des abus a mis en lumière combien l’écoute, qui est fondamentale dans les relations humaines, devient essentielle à l’égard des personnes victimes d’abus.

La création et l’action de commissions et de structures adaptées doivent absolument garantir et pérenniser le travail accompli actuellement dans l’Église afin qu’elle soit une « maison sûre », comme nous y exhorte le pape François. ¨

  1. CRIAVS : Centre Ressource pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles.

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Le magazine Il est vivant a publié le numéro spécial :

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