La doctrine sociale de l’Église, une échelle qui relie terre et ciel – Interview de Thomas Ailleret

Comment vivre en chrétien dans la vie de tous les jours ? C’est la question à laquelle Thomas Ailleret, membre de la Communauté de l’Emmanuel, a tenté de répondre dans le livre Vivre en chrétien, quésaco ? Il nous explique sa démarche.

Avez-vous eu un déclic personnel pour vous passionner de la Doctrine Sociale de l’Église ?

photo T AilleretTout cela a commencé par une grande surprise !

En 2008, je commençais ma vie professionnelle à Metz et pour me faire des amis dans cette ville que je ne connaissais pas je me suis retrouvé un peu par hasard dans un groupe de découverte de la doctrine sociale de l’Église… Doctrine. Sociale. Église… Les mots font peur, mais j’avais besoin de rencontrer du monde !

Et là, surprise… J’ai découvert qu’en plus de parler en termes attendus de l’amour, du pardon, de la paix, et même parfois de sexualité, l’Église nous parle de travail, d’économie, de politique, de protection de l’environnement. C’était lumineux, surprenant, engagé et prophétique !

Les catholiques se posent souvent la question de savoir comment concilier leur vie « réelle » avec la foi qu’ils professent le dimanche. Comment réagir quand on fait face au mensonge au travail ? Comment utiliser « chrétiennement » son argent ? Que faire quand aucun candidat à une élection ne répond à toutes les contraintes de notre foi chrétienne… C’est dans sa doctrine sociale que l’Église nous répond, et ce de manière très concrète !

Comment avais-je pu passer à travers alors que j’étais pratiquant depuis mon enfance ? Prêtres et laïcs se font sans doute une fausse idée de cette doctrine qu’ils pensent faite « pour les intellos ou les chefs d’entreprise »… Mais non ! Elle nous concerne tous, à tous les niveaux. Mère de famille, employé de caisse au supermarché, grand manager dans une entreprise, ou étudiant !

RFI : «Vivre en chrétien : Quésaco ? La doctrine sociale de l’Église en action (Cerf)». Thomas Ailleret

Dans son émission Religions du monde du 29 novembre 2020 sur le thème : Déconfinement des cultes: quelle «jauge»?, Geneviève Delrue interviewe entre autre Thomas Ailleret, membre de la communauté de l’Emmanuel.

Écouter l’émission

Qu’est-ce que vous proposez dans votre livre pour nous aider à vivre en chrétien ? Comment rendez-vous la Doctrine sociale de l’Église plus accessible ?

2020 02 ailleret echelle dresse sur la terre 6 5e287ad3783f4Cinq principes rythment les textes de la doctrine sociale que l’Église nous a donnés. Ils projettent sur toutes les situations concrètes de notre quotidien une lumière brillante. Je crois qu’il faut commencer par là :

La dignité de la personne est ce qui nous fait réagir quand on découvre les conditions de détention dans les prisons françaises, ou quand on découvre que les débats en ligne finissent parfois par des injures animalières du type « balance ton Porc ».

La recherche du bien commun est la recherche de ce qui permet tant à chacun qu’à la société dans son ensemble de se perfectionner. Les jeux de société collaboratifs se développent, qui nous apprennent à chercher une victoire commune plutôt qu’une victoire « écrasante » sur l’autre… Une belle manière d’approcher ce principe !

La destination universelle des biens est l’idée que ce dont on dispose doit être utilisé pour le bien commun plus que pour notre intérêt propre. On le sent dans un couple marié : pourquoi garder « mon » argent et « ton » argent si nous sommes mariés « indissolublement » ? Est-ce que je « perds » vraiment mon argent si j’achète du chocolat solidaire plutôt qu’un autre chocolat moins cher ? ou si je donne à une association ?

La subsidiarité est l’idée qu’il est souvent préférable de faire prendre les décisions par la base au lieu que tout se décide au niveau supérieur… C’est la demande des gilets jaunes qui ont voulu décider du thème des référendums, des taxes sur les carburants, des vaccins à administrer… Attention toutefois à ce que cette subsidiarité reste orientée au bien commun !

La solidarité enfin est le fait d’accepter de mourir un peu à soi pour l’autre. Quand je paye mes impôts, j’accepte de donner de mon argent pour construire la société. Quand je dis du bien du « bouc-émissaire » du moment ou quand je libère une information captive dans un environnement de cachotterie, je fais un petit acte qui me coûte mais qui peut dissoudre de gros problèmes !

Mon livre, Vivre en chrétien, quésaco ? part d’une petite centaine de cas très concrets pour montrer comment ils sont éclairés par ces principes. Une découverte sur le terrain, en quelque sorte !

En quoi l’épidémie de coronavirus a-t-elle remis la Doctrine sociale de l’Église en avant ?

Comme toutes les périodes de changements, la crise du Coronavirus nous a permis de nous poser des questions sur ce qui était évident et a pourtant subitement changé…

La gêne rencontrée devant l’idée d’un « tri » des patients à l’hôpital nous a montré que nous croyons à la dignité de chaque personne humaine, même plus âgée ou malade.

Nous avons découvert que certains métiers (du soin, de la logistique, dans des supermarchés) sont nécessaires à la survie de la société et contribuent donc au bien commun… Et que d’autres nous manquent quand ils s’éteignent ou s’éloignent (professeurs, restaurateurs, etc…), ce qui prouve aussi qu’ils contribuent au bien commun… Chacun a senti que le sens profond d’un emploi, c’est de contribuer au bien commun.

Le gâchis de nourriture ou de fleurs périssables au début des confinements nous a choqué, parce que la destination universelle de ces biens était niée ! Au deuxième confinement, beaucoup de gens sont venus acheter des fleurs pour écouler les stocks… Nous apprenons !

Paradoxalement, les décisions de l’État (confinement, etc.) nous ont montré que nous sommes attachés à ce que ces privations de liberté soient le plus limitées possibles dans le temps et dans leur ampleur. Les décisions de l’État sont conformes à la subsidiarité si elles restent cantonnées à ce niveau-là.

Enfin, nous avons applaudi les soignants à nos fenêtres. Pourquoi ? Parce qu’ils prenaient des risques, faisaient des efforts pour nous. Parce qu’ils acceptaient de « mourir un peu à eux-mêmes » pour nous. C’est l’image du Christ sur la croix qu’on applaudissait à nos fenêtres !

Vos questionnements rejoignent beaucoup de questions que tous, chrétiens ou non, se posent aujourd’hui (sur l’écologie, l’économie, le bien commun…). Mais qu’est-ce que votre approche apporte de typiquement chrétien ?

C’est ce qui me fascine dans la doctrine sociale de l’Église. C’est une occasion de contact fort avec les personnes qui ne partagent pas notre foi. La dignité de la personne humaine, le bien commun, la subsidiarité, la solidarité, tout le monde ou presque est d’accord ! Une occasion d’arrêter de séparer les chrétiens du reste du monde ! Simplement, pour nous, c’est le premier échelon d’une échelle qui monte beaucoup plus haut…

J’aime bien voir la doctrine sociale de l’Église comme une échelle qui relie terre et ciel. Découvrir dans le monde réel la présence de Dieu. Découvrir que notre foi nous aide à mieux comprendre ce qui se passe dans le monde.

L’homme est infiniment digne d’être aimé car il est fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Dieu a confié à Adam la mission de protéger et garder le jardin qui est un don pour nous et qu’il nous engage à partager entre nous. Il a voulu que nous puissions continuer chacun à notre niveau sa Création. Et il nous a donné son fils, Jésus-Christ, qui est mort sur la croix pour nous apprendre à aimer. Dignité, bien commun, destination universelle des biens, subsidiarité, solidarité !

Voir ce chemin que l’Église nous montre, c’est augmenter en nous la foi. C’est découvrir que suivre Dieu est un vrai bonheur ! C’est enfin apprendre à aimer dans toutes les situations réelles bien concrètes qui font notre vie…

La fête de Noël nous donne à découvrir un Dieu qui s’est incarné pour nous montrer comment aimer « en tant qu’homme », dès ici-bas sur terre. Voilà ce que l’Église nous propose de découvrir. Voilà ce qui a transformé ma vie et que j’ai maintenant envie de partager très largement !

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