“Dilexit Nos” : la préface du père Etienne Kern

L’encyclique du pape François sur le Cœur de Jésus est disponible sous différentes versions : un parcours en 29 étapes à découvrir sur l’appli Prier Aujourd’hui, un enregistrement audio par le frère Paul-Adrien d’Hardemare à retrouver sur le site du Sanctuaire de Paray et enfin un livre publié aux Editions de l’Emmanuel et préfacé par le père Etienne Kern, recteur du Sanctuaire de Paray-le-Monial. 

Un brasier ardent

La préface d’Etienne Kern

Une encyclique !

Couv Dilexit NosEn juin dernier, au moment de la fête du Sacré-Cœur, le pape François avait annoncé un document rassemblant les réflexions du magistère, mais aussi un parcours biblique, spirituel et pastoral retraçant l’histoire de la dévotion au Sacré-Cœur. Mais personne n’attendait un tel document, étonnant par son ampleur et sa profondeur, auquel le Pape a tenu à donner le degré le plus important d’un texte pontifical.

C’est la quatrième encyclique d’un pape sur le Sacré-Cœur, après Annum sacrum de Léon XIII en 1899, Miserentissimus Redemptor de Pie XI en 1928 et Haurietis aquas de Pie XII en 1956. C’est aussi la quatrième encyclique du pape François, après celles sur la foi (Lumen fidei en 2013), la sauvegarde de la maison commune (Laudato Si’ en 2015) et la fraternité et l’amitié sociale (Fratelli tutti en 2020). C’est dire l’importance de Dilexit nos.

Sans préjuger de la poursuite du pontificat du pape argentin, on peut considérer que cette encyclique est un véritable testament spirituel où il nous livre le cœur de son discernement spirituel sur les appels que l’Esprit adresse à l’Église à notre époque qui semble avoir perdu le cœur.

Un texte éminemment personnel

Le pape présente le cœur comme le centre intime et unificateur de l’être humain. La première partie de l’encyclique explore les dimensions anthropologiques et philosophique du mot « cœur », qui fait partie des mots « originels » de l’expérience humaine (15). Il explique ensuite comment « le culte du Sacré-Cœur exprime de manière excellente, en une sublime synthèse, notre culte envers Jésus-Christ » (79). À le lire, on comprend aussi que ce document joue ce rôle au sein du riche magistère de François. Il en est comme la clef de voûte, qui l’unifie, lui donne sa cohérence et sa clarté. Il est à parier que les catholiques qui éprouvent habituellement une certaine difficulté envers le magistère du pape François seront davantage à l’aise avec cette encyclique. De ce point de vue là également, Dilectis nos joue aussi le rôle de centre unificateur et de synthèse.

C’est aussi un pape jésuite qui s’exprime lorsqu’il évoque par exemple la longue chaîne des jésuites qui font référence au Cœur de Jésus, ou l’acceptation par la Compagnie de Jésus du « très doux fardeau de pratiquer, de promouvoir et de propager la dévotion à son divin Coeur » (146). Il se réfère plusieurs fois à Saint Ignace et se fait l’écho de la conviction du père Pedro Arrupe, préposé général des jésuites de 1965 à 1983, qui voyait dans le Cœur de Jésus « une expression symbolique du plus profond de l’esprit ignatien » d’une efficacité extraordinaire pour la vie spirituelle et la fécondité missionnaire de toute la Compagnie (146).

On retrouve à de nombreux endroits la manière typiquement bergoglienne de s’adresser aux foules dans un langage simple et savoureux, comme lorsqu’il décrit la fabrication des biscuits « mensonges » pendant son enfance. Les accents bergogliens se retrouvent également dans son insistance à rappeler que « la clé de notre réponse à l’amour du Cœur du Christ est l’amour du prochain » (178). En ce sens, ne pourrions-nous pas entendre, dans son adresse solennelle à tous, au n° 200, l’expression de ce qu’il porte intimement depuis son élection au siège de Pierre et qu’il a proclamé de tant de façon tout au long de son magistère pontifical ? Face aux guerres, aux tensions croissantes, au regain de la violence et de la pauvreté, le pape nous redit qu’il croit que « notre cœur uni à celui du Christ est capable de ce miracle social » (28) : nous sommes capables de relations saines et heureuses pour établir autour de nous la civilisation de l’amour que le pape Jean-Paul II appelait de ses vœux (80). C’est dire si le message du Cœur de Jésus tel qu’il a retenti à Paray-le-Monial, notamment, est actuel et fécond pour aujourd’hui !

L’importance accordée à l’expérience spirituelle de Paray-le-Monial

François a indiqué que Dilexit nos a été préparé à l’occasion de la commémoration des 350 ans des manifestations du Sacré-Cœur de Jésus à sainte Marguerite-Marie Alacoque à Paray. Les papes antérieurs avaient certes déjà reconnu la place spéciale de la sainte parodienne dans l’histoire de cette dévotion. Mais le pape François va plus loin : il cite longuement le manuscrit où Marguerite-Marie relate ce qu’elle a vécu. Il parle abondamment de son confesseur, saint Claude La Colombière, qui a authentifié et encouragé la jeune visitandine, ainsi que de Saint François de Sales, fondateur de cet ordre religieux avec Sainte Jeanne de Chantal. En bon jésuite, François reprend la lettre que saint Jean-Paul II a remise à Paray-le-Monial le 5 octobre 1896 au Préposé général de la Compagnie, le père Peter Hans Kolvenbach. Au mois de mai 2024, le pape a reçu les participants au colloque sur la réparation spirituelle organisé par le Sanctuaire de Paray. Son allocution à cette occasion est citée deux fois dans le présent texte. Enfin, c’est la structure même de l’encyclique qui reprend la dynamique interne des apparitions, notamment la troisième partie intitulée « Voici ce Cœur qui a tant aimé » en référence explicite à la grande apparition de juin 1675. La quatrième partie « Amour pour amour » n’est ni plus ni moins que le thème du jubilé des 350 ans. Cette encyclique est donc véritablement un cadeau d’anniversaire !

Un cadeau pour tous

Dilexit nos s’adresse à tous, autant à ceux qui sont à l’aise avec la dévotion au Cœur de Jésus qu’à ceux qui ne le sont pas complètement. À ceux qui sont attachés au Sacré-Cœur, François offre un merveilleux florilège scripturaire et spirituel, convoquant d’innombrables saints de toutes les époques. Dans la deuxième partie, le pape nous partage sa longue contemplation évangélique des langages de l’amour du Cœur de Jésus, notamment ses gestes, ses regards et ses paroles, tout empreints de sa douceur, de son humilité et de sa compassion. Il illustre ainsi le thème annoncé de Dilexit nos : l’amour humain et divin du Cœur de Jésus. Puis, il met à disposition du croyant des textes magnifiques, peu connus ou difficilement accessibles. Il reproduit ainsi la prière de saint John Henry Newman (26), les conseils spirituels de saint François de Sales (115-117), l’acte de confiance de Claude La Colombière (126) ou encore un poème de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (135).

Un cadeau pour ceux qui ont du mal avec le Sacré-Cœur

C’est aussi un vrai cadeau pour ceux qui entretiennent une certaine réserve, voire défiance, envers la dévotion au Sacré-Cœur. Le pape François prend le temps d’y répondre point par point afin de les réconcilier avec le Cœur de Jésus. En leur temps, les papes Pie XI et Pie XII ont clarifié des enjeux théologiques et répondu aux objections qui ne manquaient déjà pas. Mais depuis le Concile Vatican II, beaucoup de réticences se sont exprimées, notamment en Europe occidentale, et ont conduit à une véritable éclipse du Cœur de Jésus dans la vie de l’Église. Faisant appel aux intuitions majeures de son pontificat, le pape argentin corrige les déséquilibres dans la manière de vivre la dévotion et répond aux à son tour aux objections. À ceux pour qui le Sacré-Cœur est comme une réalité qui s’interpose entre eux et Jésus, François rappelle que cette dévotion ne nous sépare pas ni ne nous éloigne de Jésus-Christ et de son amour, puisqu’elle nous oriente et nous met justement en contact avec lui en son intériorité (51).

Il explique aussi comment les sentiments font partie de l’humanité de Jésus, car « sa sainteté n’élimine pas les sentiments » (44) et même que « ses sentiments humains deviennent le sacrement d’un amour infini et définitif » (60), et doivent donc être intégrés dans la dévotion du croyant (63). De même, le pape s’attarde longuement sur la question des images du Sacré-Cœur, dont il admet volontiers qu’elles ne sont pas toutes attrayantes ou porteuses à l’intériorité et la prière. Il nous invite tous à nous mettre à l’école de l’humble peuple chrétien, qui sait qu’en « regardant l’image, nous nous mettons face au Christ et, devant Lui, l’amour se fixe, contemple le mystère, en profite en silence » (57).

Ailleurs, on sent l’âme vibrante du pape latino-américain lorsqu’il demande que « personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ » (160). Le long développement sur les perspectives trinitaires (70-77), le recours incessant à l’Écriture, la valorisation de la dimension sociale et missionnaire de la spiritualité du Cœur de Jésus sont autant de réponses à ceux qui lui reprochent d’être trop christocentré, sans appui scripturaire réel, ou encore intimiste. François n’ignore pas que la figure même de sainte Marguerite-Marie est souvent mal comprise. En s’appuyant sur le récent document de la Congrégation pour la doctrine de la foi pour le discernement de phénomènes surnaturels présumés, il invite à garder précieusement le noyau authentique du message, sans s’attarder à certains détails que l’on n’est pas tenu d’accepter (121).

De cette manière, le pape François débouche le puits ensablé de la dévotion au Cœur de Jésus pour inviter toute l’Église à venir boire à sa source vive.

France, qu’as-tu fait du Cœur de Jésus ?

Il est saisissant de voir la place accordée aux saints français dans cette encyclique. Rarement un document pontifical aura autant mis en valeur la beauté de l’école française de spiritualité. Ainsi saint Jean Eudes, saint François de Sales, sainte Marguerite-Marie, saint Claude, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et saint Charles de Foucauld se succèdent-ils les uns aux autres pour témoigner de la véritable dévotion au Cœur de Jésus (113-142). Il ne s’agit pas d’en tirer une gloriole nationale mais plutôt de nous laisser interpeller : ne serions-nous pas assis sur un tas d’or que l’on ignore ? Si la France a reçu une telle grâce, qu’en avons-nous fait ? C’est un don, certes, mais c’est aussi une responsabilité ! J’émets donc le vœu que cette encyclique provoque chez tous les catholiques français – quelles que soient leur appartenance ecclésiale ou leur sensibilité spirituelle – une nouvelle prise de conscience du trésor dont nous sommes dépositaires. Et que tous viennent se réchauffer au brasier ardent du Cœur de Jésus pour se laisser embraser et mettre le feu au monde !

Père Étienne Kern

Le 22 octobre 2024, en la fête de saint Jean-Paul II

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