Les défis d’un couple mixte – Rencontre avec Pierre et Émilie Jova

Le couple de Pierre et Émilie, qui sont respectivement catholique et protestante mennonite, est confronté au défi de leur différence de confession. Comment vivent-ils cela ? Ils nous expliquent tout dans une interview croisée pour Il est vivant !

Pierre Jovanovic, 31 ans, journaliste au magazine La Vie.
 P Jova IEV356« Ma famille a reçu en héritage la diversité des confessions chrétiennes. Mon grand-père paternel était d’origine serbe, orthodoxe, marié à une Française catholique. Ma grand-mère maternelle est Suédoise et luthérienne. Nous avons été élevés dans la foi catholique, mais j’ai toujours entendu mes parents nous dire : “Nous ne sommes pas les seuls chrétiens.” »

Émilie 26 ans, en fin d’études de théologie protestante en vue de devenir pasteur
E Jova IEV356« J’ai grandi dans une famille mennonite (voir encadré), et choisi d’être baptisée à 16 ans. Dans notre Église, on appelle cette démarche “le baptême des croyants”. La personne qui demande le baptême explique son choix et l’action de Dieu dans sa vie. En septembre prochain, je vais commencer un stage d’une année pour à la fois finir le discernement et apprendre à être pasteur. En école d’ingénieur, je suis allée à l’aumônerie catholique animée par un jeune prêtre qui a découvert l’œcuménisme en même temps que moi. Je voulais surtout essayer de comprendre la manière de penser d’autres chrétiens. Et à un moment, j’ai même voulu devenir catholique. Mais ma famille ne l’a pas accepté. J’ai pris le temps de réfléchir encore et j’ai compris que, dans mon cas, changer de confession, c’était ramener le schisme dans ma propre famille. »

Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT

Au quotidien, comment se vit le fait d’être un couple mixte chrétien ?

Pierre Nous avons la chance d’avoir la même religion : nous sommes chrétiens tous les deux et nous pouvons donc vivre cette grâce extraordinaire de fonder notre mariage sur le Christ, de le prier ensemble et de l’inviter dans notre vie de couple. C’est une grande joie ! Parfois même, dans nos discussions spirituelles notamment, il nous arrive d’oublier que nous appartenons à deux confessions différentes tellement nous sommes en communion sur l’essentiel.
Pour prier ensemble, nous avons choisi une façon de faire très simple, et qu’affectionne le pape François : « Merci, pardon, s’il te plaît. » Nous lisons également l’un des textes de la liturgie catholique du jour.

Émilie Et nous allons à l’Église ensemble ! L’Église commence dans la famille, donc nous ne voulons pas « faire Église à part ». Et nous ne souhaitons ni l’un ni l’autre qu’une Église disparaisse du paysage. Quand je serai pasteur, nous irons le dimanche à l’office mennonite. Cette année, la plupart du temps, nous sommes allés à la messe catholique. Au début, nous avions envisagé d’alterner mais nous nous sommes vite rendu compte que cela ne laissait pas le temps de tisser des liens profonds avec les gens. Nous avons donc choisi d’être fidèles à un lieu d’Église, et de proclamer notre foi ensemble.

Du fait de votre différence de confession, comment vivez-vous la communion eucharistique ?

Pierre Au cours de notre messe de mariage, nous avons pu vivre l’hospitalité eucharistique. C’est-à-dire que lors de cette messe, les protestants ont pu communier au Corps et au Sang du Christ, sur autorisation de l’évêque du lieu. Nous lui avions expliqué que si nous demandions l’hospitalité eucharistique, ce n’était ni par caprice ni par ignorance des différences théologiques entre nos deux confessions mais parce que, désirant fonder notre mariage sur le Christ et ne former qu’un seul corps, nous voulions exceptionnellement communier ensemble, et que nos familles et nos amis puissent le faire également.

Émilie C’était un signe prophétique aussi !

Pierre Au quotidien, nous avons fait le choix de respecter la discipline catholique. C’est-à-dire que quand nous allons à la messe, je communie pour deux et quand nous allons au culte protestant, c’est Émilie qui communie pour nous deux.

Émilie Du point de vue de mon Église, je pourrais communier chez les catholiques, et Pierre chez nous.

Pierre Cela a été un vrai combat pour moi, parce que, me sentant en communion avec les personnes avec lesquelles j’étais au culte, j’avais le désir de communier. Mais l’Église catholique considère que la plénitude du sacrement n’est pas dans les Églises protestantes et que nos deux Églises ne sont pas en pleine communion.

Émilie Le fait que nous respections cette discipline interroge. Par exemple, malgré le fait que j’ai prêché à Lyon Centre, lors d’un week-end organisé par le groupe de pop louange Glorious, je n’ai pas communié lors de la messe. La rupture de communion, dans un tel contexte, alors qu’une communion forte se crée entre les personnes, ne laisse pas indifférent ceux qui la constatent. Cette règle serait pourtant très facile à court-circuiter mais ce serait dommage.

Pierre Je vis intensément les moments où je ne peux pas communier. C’est une souffrance mais je suis très heureux qu’Émilie communie pour nous deux. Je communie alors spirituellement.

Émilie Ce serait bien que la pleine communion existe entre nos Églises ! Cela doit toujours demeurer la raison d’être de l’œcuménisme : la pleine unité en Christ qui se manifeste par la communion à la même table ! Mais qu’est-ce qu’une unité pleine ? Même au sein d’une paroisse, existe-t-elle vraiment ?

Comment vivez-vous la mission ensemble ?

Pierre Quand nous nous présentons aux personnes que nous rencontrons, Émilie évoque ses études de théologie protestante, les mennonites… Cela suscite de nombreuses discussions. De même, on nous interroge souvent sur les différences entre catholiques et protestants. Nous espérons beaucoup que notre état de vie et notre couple sont missionnaires. Assez fréquemment, des gens nous remercient de donner le témoignage d’un couple mixte chrétien.

Émilie Des personnes qui nous connaissent suggèrent à des jeunes de confessions différentes qui songent à se marier de nous rencontrer. C’est l’occasion de leur témoigner de ce que nous vivons. C’est un travail d’unité ensemble. De nombreuses personnes, qui se sentent parfois à l’étroit dans leur paroisse, nous disent que notre couple est le signe d’une ouverture qui leur fait du bien.

Pierre Avec le futur ministère pastoral d’Émilie, nous aurons des occasions d’évangéliser ensemble. Mais pour moi, un couple évangélise déjà en tant que tel par son amour, qui est une image de l’amour divin. Nous avons par ailleurs la chance d’avoir tous les deux été évangélisés par nos parents et nous espérons faire de même avec les enfants que Dieu nous donnera et avec tous ceux qui nous entourent.

Qu’est-ce qui, dans vos différences, est le plus douloureux, au quotidien ?

Émilie Il arrive que l’un de nous se bloque, sans que l’autre ne saisisse pourquoi. Je me souviens d’une messe du 15 août où tous les chants de la célébration étaient tournés vers Marie : entrée, communion, sortie, etc. Pour moi, c’était trop. Nous étions dans ma belle-famille et tout le monde m’a demandé à la sortie de la messe : « Alors, cela t’a plu ? » Je n’ai pas su leur exprimer ce que j’avais ressenti.

Pierre Nous avons des visions du monde et de l’Église différentes. Il y a aussi bien sûr des points théologiques précis sur lesquels nous ne sommes pas d’accord. Le plus sensible, c’est sans doute l’intercession à Marie et le culte des saints. Mais Émilie est très ouverte, elle m’a même fabriqué un chapelet ! Nous ne pouvons cependant pas prier Marie et les saints ensemble. C’est une souffrance, mais je considère que le plus important est de pouvoir prier le Christ et de lire la Bible ensemble.

Pierre, comment envisagez-vous votre vie de « mari de pasteur » ?

Pierre Tout est à inventer, d’autant plus que je suis catholique ! Les femmes de pasteur ont joué dans l’histoire un rôle important dans leur communauté. Aujourd’hui, les choses ont évolué et il arrive même qu’il y ait des couples de pasteurs. Ce qui est certain, c’est que j’ai envie de m’investir dans l’Église d’Émilie, Je veux être là pour la soutenir, la défendre même si c’est nécessaire. Le ministère se vit à deux. Mais je resterai catholique, s’il plaît à Dieu !

Qu’en sera-t-il du baptême de vos futurs enfants ?

Émilie Le baptême à l’âge adulte (ou « baptême des croyants ») est dans l’ADN de l’Église mennonite. Baptiser ses enfants, en tant que pasteur mennonite, cela ne passerait pas. Et même cela signifierait pour l’enfant : « Je choisis pour toi que tu sois catholique. » De même que ce sera à eux de choisir de suivre le Christ, de même ils choisiront eux-mêmes dans quelle Église aller, après avoir été éduqués dans les deux traditions.

Pierre Pour moi, le baptême des enfants est juste d’un point de vue théologique. Mais je savais que pour Émilie, c’était une condition forte. J’étais un peu triste, imaginant que je serai à terme le seul catholique de la famille… Mais le prêtre qui nous a mariés m’a dit : « Il faut que vous soyez ensemble catholiques et ensemble mennonites, et non chacun de votre côté. » C’est très fort. Et cela nous engage : moi à vivre le ministère d’Émilie, et Émilie à vivre pleinement l’attachement au catholicisme. Je crois que c’est une bonne ligne directrice pour notre couple.

Émilie Un numéro d’Il est vivant ! consacré aux 50 ans du Renouveau charismatique que j’ai eu entre les mains citait le pape François qui disait que le Renouveau était œcuménique par nature. Je crois que c’est très juste. Alors, laissons la place à l’Esprit Saint pour avancer ensemble vers l’unité !

Les mennonites sont des protestants, apparus au XVIe siècle (comme les luthériens et les réformés). La société était alors en ébullition. Les gens se mettaient à lire la Bible en langue vernaculaire ; des groupes de paysans se sont formés et ont vécu des renouveaux spirituels. Ils ont pris conscience que dans la Bible, baptême et vie dans l’Esprit sont très liés. Ils constataient que si tout le monde était baptisé, tout le monde ne vivait pas pour autant en chrétien ; par ailleurs, nulle part dans la Bible, n’est explicitement évoqué le baptême des enfants. C’est pourquoi ils ont commencé à se faire baptiser à l’âge adulte. C’est un certain Menno Simon qui a réorganisé cette Église de manière pacifiste, que l’on a appelé les Mennonites, car des mouvements violents en son sein avaient voulu faire advenir le royaume de Dieu par les armes ! Il y a eu par la suite des vagues de persécution et d’émigration. Aujourd’hui, nous sommes 2 000 en France (idem en Suisse, et 50 000 en Allemagne). E.J.

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Le magazine Il est vivant a publié le numéro spécial :

IEV n°356 - Unité des chrétiens : marcher, prier, travailler ensemble Se procurer le numéro →

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