COP 28 : Quelle est l’intention du pape François ?

Raviver "la conscience commune d'être une famille des nations"

Alors que la COP 28 vient de s’achever à Dubaï, nous nous sommes intéressés à l’implication du pape François sur la question du climat. De Laudato Si en 2015 à son discours du 2 décembre, en passant par Laudate Deum en octobre dernier, le saint-père veut inciter les états à faire le choix du multilatéralisme et à dépasser leurs intérêts nationaux. Il nous invite à prendre conscience de notre responsabilité personnelle comme collective et nous exhorte à la conversion.

Pour mieux comprendre la posture et l’intention de François, nous avons rencontré Emilien Jolly. Séminariste de l’Emmanuel pour le diocèse de Paris et actuellement en stage inter-cycle à la paroisse St Luc de Rennes, il est également l’auteur d’une thèse en climatologie, réalisée à l’ENS, dans un laboratoire de recherche. Interview.

Vignette Nl 2Pour vous, qui êtes scientifique, quelle est la légitimité du pape François, qui n’est pas un scientifique, à s’exprimer sur le sujet du climat et a fortiori à se rendre à la COP 28 (même si sa venue a finalement été annulée pour raisons de santé) ?

Emilien Jolly : Bien sûr, dans une convention scientifique, le pape n’aurait rien à faire ni rien à dire. Mais la COP 28 n’est pas une réunion de scientifiques. Il s’agit de la Conférence des États parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. C’est une session de négociation. Le GIEC et un certain nombre d’ONG y sont représentés, mais la majorité des participants, 80 000 personnes au total, sont des négociateurs des États, auxquels il faut ajouter 5% de lobbyistes pour les lobbies pétroliers et gaziers. Le pape étant le souverain d’un État, sa venue est donc extrêmement légitime. Par ailleurs, sa voix ayant une dimension morale, sa présence me parait très importante. 

D’autre part, François ne fait pas de science, il n’en produit pas. Lorsqu’il utilise des arguments scientifiques, dans l’exhortation apostolique Laudate Deum par exemple, ce sont des données issues du consensus scientifique.

Justement, le consensus scientifique que vous évoquez est-il bien réel ? Quid des climato-sceptiques que le pape François n’épargne pas d’ailleurs dans sa dernière exhortation Laudate Deum ?

EJ : Le consensus scientifique est réel, large et complet parmi les personnes qui étudient cette science-là, c’est-à-dire parmi les climatologues, les physiciens de l’atmosphère, les océanographes, les chimistes de l’atmosphère et de l’océan, les météorologues…

Il y a quelques physiciens, surtout dans les années 2000 à 2010, qui contestent ce consensus à cause de la méthode que nous utilisons.  Par exemple, la méthode scientifique des historiens n’est pas du tout la même que celle des physiciens. Elle ne permet pas d’arriver au même degré de certitude, mais c’est bien obligé : on ne peut pas produire de la recherche en histoire de la même manière qu’en physique, ni avec les mêmes outils. Ainsi, on trouvera bien des physiciens pour dire que l’histoire n’est pas une science.

Mais, comment peut-on juger une science de l’extérieur avec la vision d’une autre science ? Les scientifiques climato-sceptiques ne sont pas des spécialistes du sujet.

Je voudrais compléter cette réponse par un autre point important : le lobbying des principales entreprises pétrolières qui paient des chercheurs pour produire des études allant à l’encontre du consensus scientifique mais qui servent leurs intérêts. On les appelle les marchands de doutes, pour reprendre le titre d’un livre qui s’est intéressé à la façon dont l’industrie du tabac a influencé la législation. Il s’agit d’insinuer un doute sur le consensus scientifique pour retarder des actions ou des changements de législation qui nuiraient à leurs intérêts.

Selon vous, dans quel but, le pape François voulait-il participer à la COP 28 et qu’apporte l’exhortation apostolique Laudate Deum, dans laquelle on a pu constater un changement de ton par rapport à Laudato Si, paru 8 ans plus tôt ?

EJ : On a souvent décrit Laudate Deum comme un complément de l’encyclique Laudato Si. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Je pense que François a écrit Laudate Deum pour mettre un coup de projecteur, à son échelle, sur la COP 28. A son échelle, c’est-à-dire dans le monde catholique.

Je crois que l’objectif n’est pas du tout doctrinal ni de partager une information mais vraiment de faire bouger les choses. C’est la façon que le pape a de s’engager pour l’écologie.

Dans Laudate Deum, il insiste particulièrement sur la dimension du pouvoir dans le paradigme technocratique et sur la faiblesse de la politique internationale qu’il évoque également dans son discours du 2 décembre à la COP 28. Il regrette qu’on soit dans une logique d’opposition frontale et appelle de ses vœux un multilatéralisme dans lequel il y aurait des règles du jeu globales, c’est-à-dire à l’échelle du globe, « efficaces, contraignantes et facilement contrôlables. » Il exhorte les participants à la COP 28 à « reprendre la conscience commune d’être une famille des nations », comme le disait Saint Jean-Paul II.  Et rappelle que c’est le rôle des états de se mettre d’accord et de réussir à avancer ensemble en dépassant leurs intérêts nationaux particuliers.

Il me semble que son objectif est qu’il se passe quelque chose, même si ce n’est pas aujourd’hui une solution immédiate et définitive.

Les climatologues sont souvent pessimistes sur l’avenir… quelle est votre espérance aujourd’hui ?

EJ : Mon espérance c’est de voir que notre manière de penser l’homme a évolué dans le temps. Il y a un siècle, l’église parlait de sauver les âmes. Petit à petit, l’église s’est rendue compte que ce n’était pas très juste. Dieu sauve toute la personne, pas seulement son âme. Aujourd’hui, on réalise, un peu dans la douleur, que la personne existe dans un environnement. Ce qui est concerné par le salut de Dieu ce ne sont pas seulement les âmes, ni même seulement les personnes mais la création toute entière.

A travers cette épreuve, je pense que Dieu nous invite à nous convertir, à transformer notre relation à la création.

Alors, c’est vrai, je ne suis pas du côté de l’espoir – je suis même passé par une phase de désespoir sur le sujet – mais je mets mon espérance en Dieu, avec confiance.

Cela veut dire que, humainement, les décisions qui sont prises aujourd’hui ne vous paraissent pas du tout à la hauteur de l’enjeu ?

EJ : En effet, ni les décisions politiques, ni les réactions des entreprises ne sont à la hauteur. Mais, ma conversion personnelle non plus.

L’impact des décisions politiques est tout de même plus fort que celui des actions individuelles, non ?

EJ : De manière assez classique, on considère qu’il y a 3 acteurs : les états, les entreprises et les particuliers. Traditionnellement, les états accusent les entreprises de ne pas s’engager, les entreprises rejettent la faute sur les consommateurs qui expriment une demande qu’il faut bien satisfaire sinon elles risquent de ne pas survivre et de ne pas pouvoir payer leurs actionnaires et les particuliers considèrent que si les états et les entreprises n’agissent pas, il ne se passera rien. Dans Laudate Deum, aux numéros 70 et 71, le pape François, nous invite à ne pas nous défausser de notre responsabilité :

« Mais, ce qui compte est une chose moins quantitative (...) il n’y a pas de changement culturel sans changement chez les personnes. L’effort des ménages pour polluer moins, réduire les déchets, consommer avec retenue, crée une nouvelle culture. Ce seul fait de modifier les habitudes personnelles, familiales et communautaires nourrit l’inquiétude face aux responsabilités non prises des secteurs politiques et l’indignation face au désintérêt des puissants. Nous remarquons donc que, même si cela n’a pas immédiatement un effet quantitatif notable, cela aide à mettre en place de grands processus de transformation qui opèrent depuis les profondeurs de la société. »

Ayons confiance dans le fait que notre action collective aura un impact.

Quels sont les gestes individuels qui ont un impact significatif ?

– La mobilité : l’avion, la voiture.

– L’alimentation : principalement la consommation de viande et de bœuf en particulier.

A ce sujet, j’aimerais faire remarquer que Jésus, dans les évangiles, nous invite à la prière, à l’aumône et au jeûne. Le jeûne est au même niveau que la prière et l’aumône. Le jeûne est une manière concrète d’entrer dans la sobriété que nous risquons d’oublier dans le régime d’abondance dans lequel nous vivons.

– L’isolation thermique des bâtiments et nos modes de chauffage

– Les vêtements

Mais je voudrais souligner que le pape insiste dans Laudate Deum sur la dimension spirituelle : le premier chemin de conversion qu’on a à vivre c’est de prier, pas uniquement dans un objectif psychologique parce que prier nous fait du bien, mais car cela nous fait entrer en relation directe avec Dieu qui nous promet que si nous lui demandons il nous donnera, que si nous frappons, il nous ouvrira… Prier car nous avons foi en Dieu.

Les marchands de doute : ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique

Naomi Oreskes et Erik M Conway ( trad. de l’anglais),  Paris, Le Pommier, 2012, 523 p.

Wikipédia en propose un bon résumé : à voir ici ! 

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