En entendant prêcher François, la jeune Claire est bouleversée : elle reconnaît l’appel à suivre, comme lui, le Christ pauvre et humble. La fécondité de leur amitié a traversé les siècles.
Par SOEUR ISABELLE, Clarisse
Rien ne prédisposait François et Claire d’Assise à se rencontrer. Claire D’Offreduccio est née en 1193 ou 94 ; elle est la fille aînée de Messire Favarone et Dame Hortolane. Sa famille est l’une des plus nobles et des plus puissantes d’Assise. François, né en 1181 ou 82, est de 18 ans son aîné, fils de Pierre Bernardone, un commerçant très riche de la ville. Rien de commun entre la noblesse et ceux qu’on appelle les bourgeois : dans la même ville, deux mondes totalement étrangers l’un à l’autre. De plus, vers 1200 les citoyens aisés d’Assise (dont le jeune François) se soulèvent contre le pouvoir des nobles, s’emparent de la forteresse de la Rocca et proclament la commune d’Assise. De nombreuses familles nobles s’exilent à Pérouse. C’est la guerre entre les deux clans. Quelques années plus tard, vers 1203 ou 1204, les familles nobles rentrent à Assise et reprennent le contrôle de la ville. Les armes se taisent, mais cette paix ne signifie cependant pas la rencontre des uns et des autres et encore moins l’estime mutuelle. Dans les années 1205 à 1208 François vit une période de profonds changements, d’abord intérieurs, puis dans sa manière de vivre. Il renonce à tous ses biens, choisit une vie en pauvreté par amour du Christ qui, pour nous, s’est fait pauvre. Des frères le rejoignent. François se met aussi à prêcher l’Amour du Christ, la Bonne Nouvelle de la paix. Il touche les cœurs. C’est ainsi que Claire l’entend prêcher, probablement à l’église Saint-Rufin près de laquelle demeurent Claire et sa famille. Déjà éveillée à une vie fervente, au partage et à l’amour des pauvres, Claire est profondément touchée. Elle entre en contact avec François, secrètement, avec quelques compagnes (probablement sous la protection de l’évêque) ; elle entreprend un chemin de discernement. En 1211 ou 1212, la nuit des Rameaux, elle s’enfuit de la maison paternelle et se consacre à Dieu entre les mains de François. Elle s’établit ensuite à Saint-Damien, et très vite d’autres femmes, dont sa propre sœur, se joignent à elle. C’est le Christ pauvre et humble que François et Claire ont chacun voulu suivre, lui qui par amour pour nous s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté, lui qui s’est abaissé jusqu’à la mort de la croix pour nous sauver, comme le dit saint Paul. Par amour pour lui, pour l’imiter, ils ont chacun quitté leurs façons de voir, de penser, d’agir, leurs habitudes « mondaines », selon l’expression du pape François, et c’est cet amour du Christ pauvre et humble qui les a rapprochés.
« Notre unique consolation après le Seigneur »
Claire, dans son Testament, considère François comme celui qui, par son exemple et son enseignement, l’a aidée à reconnaître la lumière et les inspirations que le Père des cieux déposait en son cœur. Elle se nomme elle-même « petite plante » de François. Dans les débuts de la vie de Claire avec ses sœurs à Saint-Damien, François leur a donné une forma vivendi, une forme à vivre en quelques mots : « Suivre la vie et la pauvreté de notre Seigneur Jésus- Christ. » Il s’est engagé avec ses frères à prendre soin des sœurs. Claire nomme également François comme celui qui est « notre colonne, notre unique consolation après Dieu, notre seul appui ». Cela nous révèle bien toute l’inspiration et toute la force que Claire a puisées auprès de François.
Cependant, trois ans après la conversion de Claire, François l’oblige quasiment, nous disent les documents primitifs, à prendre la direction et le gouvernement des sœurs. Nous ne savons pas exactement quelles étaient les motivations de François. Mais cette demande insistante témoigne de toute la confiance que François faisait à Claire et ses sœurs pour qu’elles déterminent elles-mêmes, de la manière qui leur semblerait la meilleure, les modalités de leur suite du Christ pauvre et humble, et de leur vie en fraternité.
François espacera ses visites au monastère plus que ne l’auraient souhaité Claire et ses sœurs. Et parfois sa prédication est déroutante : par exemple le jour où en guise de sermon, il répand de la cendre sur sa tête en signe de pénitence et sort sans un mot ! Il est arrivé qu’il envoie un frère auprès de Claire pour lui demander de prier afin de l’éclairer sur la voie que lui-même devait suivre. Nous savons que deux ans avant sa mort, déjà bien malade et souffrant, c’est près de Saint- Damien qu’il habite une petite cellule et c’est là que, alors qu’il ne peut plus supporter la lumière du soleil, il compose le Cantique des créatures. Tandis que l’ordre des frères connaît une expansion extrêmement rapide et, en conséquence, traverse de grosses tensions, Saint- Damien est probablement pour François un havre de paix bienfaisant.
Garder les intuitions de François
François meurt en 1226, âgé d’environ 45 ans. Claire l’avait suivi 14 ans plus tôt, elle lui survivra encore 27 ans. Dans les années qui suivent la mort de François, bien des conflits agitent les frères ; entre les premiers compagnons de François, les témoins des débuts, et les milliers de frères à la mort de François, les incompréhensions sont nombreuses. Claire et ses sœurs de leur côté poursuivent avec ténacité le chemin quotidien initié par l’exemple de François. À Saint-Damien, pauvreté et fraternité s’engendrent mutuellement dans une vie selon l’Évangile. Sœurs pauvres, tel est le nom d’origine des sœurs de sainte Claire. Dans sa règle, Claire écrit : « Qu’avec assurance chacune manifeste à l’autre sa nécessité. Et si une mère chérit et nourrit sa fille charnelle, avec combien plus d’affection chaque sœur ne doit-elle pas chérir et nourrir sa sœur spirituelle ? » L’ouverture de qui manifeste son besoin, le souci de ce qui est nécessaire à l’autre, le soin des malades en particulier, le service mutuel, comme Jésus lavant les pieds de ses disciples, expérimentés jour après jour, font grandir la charité. Et l’amour mutuel engendre l’unité. En son essence la pauvreté choisie et vécue par François et Claire est immense confiance dans le Père des miséricordes de qui vient tout bien et qui nous fait tous frères.
Claire luttera jusqu’à sa mort pour faire reconnaître auprès du pape sa forme de vie et ne pas se voir imposer une autre règle. Elle est la première femme à avoir écrit une règle pour des femmes. Le cœur de sa règle reprend les intuitions fondamentales de François, mais elle est aussi le fruit de sa vie avec ses sœurs. Claire sait puiser à d’autres sources et ajouter sa note propre. Comme François, elle défend la vie en pauvreté sans la sécurité des biens ; elle promeut une vie fraternelle entre les sœurs dans le service et la reconnaissance mutuelle. Claire a gardé vive la flamme allumée en son cœur par l’exemple de François, elle a gardé jour après jour le regard tourné vers le Christ pauvre et humble, de la crèche à la croix. Et dans une fidélité créatrice, avec ses sœurs, elle a ouvert la voie que nous sommes toujours heureuses de suivre.