Charles de Foucauld – Une fécondité aux multiples facettes

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Quelle a été la fécondité de Charles de Foucauld, puisqu’il n’a converti aucun de ceux auprès desquels il avait été envoyé en mission ? Et à notre tour, comment imiter l’apostolat de ce saint ? Explications du Père Gabriel Priou.

Gabriel Priou s’est engagé dans la communauté de l’Emmanuel en 1980. Il a été ordonné prêtre en 1987. Il a vécu notamment 8 ans au Congo et a été pendant 8 ans aumônier du Rocher. Il est actuellement curé dans les paroisses nord littoral de Marseille.

Vignette Facebook Charles de Foucauld

« Dieu notre Père, tu as appelé saint Charles de Foucauld à vivre de ton amour dans l’intimité de ton Fils, Jésus de Nazareth. Accorde-nous de trouver dans l’Évangile, le fondement d’une vie chrétienne de plus en plus rayonnante, et dans l’eucharistie, la source d’une fraternité universelle » (collecte liturgique pour la fête du bienheureux). Dans cette oraison est comme résumée la fécondité de Charles de Foucauld : fécondité dans l’imitation du Christ, rayonnement à l’école de l’Évangile et communion fraternelle universelle dans le sacrifice du Christ perpétué dans l’eucharistie.

L’intimité avec Dieu

« Demeurez en moi comme je demeure en vous. Celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruits » (Jn 15). Pour Charles de Foucauld, c’est d’abord dans l’intimité avec Dieu, notamment dans l’adoration eucharistique, que le cœur s’épanouit : « L’adoration du Saint-Sacrement est le repos, le rafraîchissement, la joie »1 , écrit-il à sa cousine Marie de Bondy. Il entre ainsi dans l’imitation du Christ, attitude centrale de sa vie spirituelle. Il l’écrit à son ami d’enfance Gabriel Tourve, incroyant : « L’imitation est inséparable de l’amour, tu le sais, quiconque aime veut imiter : c’est le secret de ma vie : j’ai perdu mon cœur pour ce Jésus de Nazareth crucifié il y a 1900 ans et je passe ma vie à chercher à l’imiter autant que le peut ma faiblesse. »2 « J’aime Notre Seigneur Jésus bien que d’un cœur qui voudrait l’aimer plus et mieux ; mais enfin je l’aime, et je ne puis supporter de mener une vie autre que la sienne ; une vie douce et honorée, quand la sienne a été la plus dure et la plus dédaignée qui fût jamais ; je ne veux pas traverser la vie en première classe pendant que Celui que j’aime l’a traversée dans la dernière. »3 Mais il ressent son incapacité personnelle et sa pauvreté : « Une chose me manque, c’est moi-même… je suis content de tout, sauf de moi. »4 Au sujet de la mission en milieu musulman, tout ne peut se faire que par une authentique transformation intérieure. « Pour dire de bonnes choses sur les musulmans, il faudrait en avoir converti, et je ne l’ai point fait… pour les convertir, ce qu’il faut c’est se convertir soi-même et être saint. »5 Il constate avec tristesse que la présence française en terre algérienne est souvent arrogante avec des comportements peu édifiants alors que les autochtones les considèrent comme chrétiens. Frère Charles comprend que l’imitation de Jésus Christ est le seul remède pour ouvrir les cœurs. Lors de son voyage en France en janvier 1909, rencontrant pour la dernière fois son directeur spirituel l’abbé Huvelin, celui-ci lui donne ce conseil, qu’il avait déjà mis en œuvre magnifiquement : « Mon apostolat doit être l’apostolat de la bonté. En me voyant on doit se dire : “Puisque cet homme est si bon, sa religion doit être bonne.” Si l’on demande pourquoi je suis doux et bon, je dois dire “parce que je suis le serviteur d’un bien plus bon que moi, si vous saviez combien est bon le maître Jésus…” Je voudrais être assez bon pour qu’on dise : “si tel est le serviteur, comment donc est le Maître” ? »6

Vivre avec

Nazareth ! Penser qu’après le recouvrement au temple de Jésus à 12 ans, et le début de sa vie publique sur les bords du Jourdain à 33 ans, rien n’est dit dans l’Évangile de ces 21 ans passés à Nazareth ; rien n’est dit parce qu’il n’y a rien à dire, juste à vivre le quotidien de la vie humaine faite de travail, de relations et de services rendus ; grand mystère de l’incarnation : La Parole se tait, mais pour autant, elle agit en épousant progressivement notre humanité pour la sauver. (cf. Isaïe 55, 10-11). Frère Charles vit trois ans à Nazareth (1897- 1900) ; cela lui inspire ces paroles de Jésus : « Travaillez à la sanctification du monde, travaillez- y comme ma Mère, sans parole, en silence. Allez-vous établir au milieu de ceux qui m’ignorent ; portez-moi parmi eux en y établissant un autel, un tabernacle, et portez-y l’Évangile, en le prêchant d’exemple, non en l’annonçant mais en le vivant. »7 Ce n’est donc en réalité pas un enfouissement mais un travail préparatoire à une action de Dieu. Les 30 ans de vie cachée préparent tout le reste de la vie de Jésus : sa vie publique et sa Pâque. Il en est de même pour Charles. « Ce travail, écrit-il, n’est pas une évangélisation proprement dite, je n’en suis ni digne, ni capable et l’heure n’est pas venue ; c’est le travail préparatoire à l’évangélisation, la mise en confiance, en amitié, apprivoisement, fraternisation, chez les Hoggar et les Taikot »8 Il se considère que là se trouve la fécondité de sa mission. Qu’en est-il pour nous ? Il s’agit d’entrer dans la réalité de nos « Nazareth d’aujourd’hui », c’est-à-dire d’intégrer « le logiciel » de l’autre ; c’est la logique de l’incarnation ; choisir de « Vivre avec » à l’école de l’Emmanuel9, Jésus, Fils du Père éternel, qui « a planté sa tente parmi nous » (Jean 1, 14) pour communier pleinement et totalement à ces frères et sœurs en humanité qui nous sont donnés. Ainsi, « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. »10

Le déploiement des dons et charismes pour la mission

Jésus a travaillé à Nazareth, il a appris un métier, il a éprouvé la dureté du travail, à l’école de son père Joseph, mais bien plus encore du Père des cieux : « Mon Père travaille toujours et moi aussi je travaille » (Jn 5, 17). Ce travail pour participer à l’œuvre d’un bien commun. Dans la vie de Charles, il est impressionnant de voir un homme sans cesse en activité, en créativité, déployant tous ses talents de chercheur, de géographe, de linguiste, d’ethnologue à en épuiser ses proches, pour améliorer la condition des peuples qu’il côtoie : « Je reprends mon travail quotidien : apprivoisement des Touaregs, des indigènes de toutes races en tâchant de leur donner par moi ou par d’autres un commencement d’éducation intellectuelle et morale… travaillant, petitement et doucement, à civiliser matériellement, intellectuellement, moralement – Tout cela pour amener, Dieu sait quand, peut-être des siècles, au christianisme. Tous les esprits sont faits pour la vérité : mais pour les musulmans, c’est affaire de très longue haleine. »11 Ainsi, Charles de Foucauld nous enseigne à rechercher et travailler sans relâche en apportant nos dons et charismes pour construire ensemble la mission. C’est la fécondité par le déploiement des talents. Un travail qui se fait écrira-t-il « dans l’angoisse des temps »12. Les difficultés font partie de la mission, et même les échecs apparents peuvent mystérieusement être porteurs de fruit.

L’offrande

En janvier 1908, Charles vit une expérience très profonde : il est seul à Tamanrasset. Il n’a plus de contacts par les militaires, plus de possibilité de célébrer la messe. Il tombe malade, il va mourir, c’est alors que ses amis Touaregs lui apportent du lait de chèvre, et il se relève. Cette expérience lui montre que son offrande dans le silence produit un fruit de charité féconde envers ce prochain pour qui il donne sa vie. « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25). Mais pour Charles, c’est dans l’offrande de sa vie le 1er décembre 1916, que la fécondité trouve sa réalisation ultime. « Notre anéantissement est le moyen le plus puissant de s’unir à Jésus et de faire du bien aux âmes. »13 À sa suite et à notre mesure, nous pouvons apprendre à offrir au quotidien nos petites et grandes maladies, nos désagréments et contrariétés, nos humiliations, pour la fécondité de nos missions. « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn 12, 24). ¨

POUR ALLER PLUS LOIN

C’est plus de 20 ans après sa mort que seront fondés les Petites Sœurs et Frères de Jésus. Aujourd’hui, plus de 30 fondations se réclament de son patronage. Les saints sont toujours actuels. Le grand théologien le cardinal Yves Congar, expert au concile Vatican II, dira : « Les phares que la main de Dieu a allumés au seuil du siècle atomique s’appellent Thérèse de Lisieux et Charles de Foucauld. »

1. Lettre à Marie de Bondy, 19 janvier 1903.
2. Lettre à son ami Gabriel Tourve, 1901, alors qu’il se prépare à partir vers les terres d’Algérie.
3. Cité par Jean François Sixte dans Vie de Charles de Foucauld, Seuil, p. 41.
4. Lettre du 13 juillet 1905 à l’abbé Huvelin.
5. Cité par Jean François Sixte dans Vie de Charles de Foucauld, Seuil, p. 113.
6. Cité dans 20 ans de correspondance entre Charles de Fc et son directeur spirituel, Nouvelle cité, p. 397.
7. Écrit spirituel sur la visitation, Ed Blanche de Peuterey
8. Lettre à Henri de Castries, 17 juin 1904.
9. Matthieu 1, 23 : « Voici que la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit “Dieu avec nous”. »
10. Gaudium et spes, 1.
11. Lettre à Castries, 29 mai 1909.
12. Lettre à Mgr Guérin de Tamanrasset, 1er juin 1908.
13. Lettre à sa cousine le jour de sa mort, 1er décembre 1916.

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