Bioéthique : “Une belle occasion d’aller aux périphéries”

Rencontre avec Serge et Michèle Longour qui sont les responsables de la mission bioéthique au sein de la Communauté de l’Emmanuel, et du parcours pour les professionnels de santé. Une interview extraite du dernier numéro d’Il est vivant ! sur la bioéthique.

Il est vivant ! Pourquoi une mission bioéthique au sein de la communauté de l’Emmanuel ?

LongourMichèle et Serge Longour – Au début des années 2000, il devenait de plus en plus évident que les questions liées à la bioéthique n’étaient pas une affaire de spécialistes. Non seulement nous étions tous concernés mais aussi se former devenait une urgence. D’abord pour poser des choix éthiques justes dans nos propres vies et aussi pour aider d’autres personnes à le faire. Un colloque a été organisé depuis chaque année (les “Journées de Bioéthique“). C’est un bel événement qui se déroule autour du 11 novembre, ouvert à tous. Ces questions de bioéthique sont maintenant bien sorties du seul champ scientifique pour entrer de plus en plus dans la vie des familles et des couples.

IEV – Quel esprit préside à cette mission ?

MS.L. – La vocation de l’Emmanuel, c’est l’incarnation de l’Évangile dans nos vies. Méditer le message de l’Église, notamment celui de Jean Paul II dans L’Évangile de la Vie est donc au cœur de l’appel de la communauté de l’Emmanuel. Aussi, nous sommes appelés à aider chaque personne à accueillir sa propre vie comme un don, une bonne nouvelle pour faire écho à cette encyclique. « La vie est toujours un bien. Toute naissance est une bonne nouvelle, écrivait en substance Jean Paul II, parce qu’illuminée par la grâce du Christ qui a racheté chacune de nos vies. » Dans cette perspective, il invite chacun à prendre soin de toute vie fragile, de sa conception à sa mort naturelle, et les couples à accueillir et transmettre la vie généreusement, ainsi qu’à rayonner cet amour de la vie. Toute vie vaut la peine d’être vécue, même quand elle est abîmée, fragilisée et dans ses derniers instants. Nous sommes appelés à “creuser” toutes ces questions.

IEV – Quelle est la particularité de cette mission bioéthique ?

MS.L. – Ce qu’apprécient les personnes que nous touchons, c’est de se former dans le cadre d’une communauté chrétienne. Lors des journées de bioéthique, on peut former son intelligence mais aussi mettre toute sa vie sous le regard de Dieu à travers les temps de prière, les célébrations les sacrements proposés et faire en même temps l’expérience d’une vraie fraternité.

Nos existences étant de plus en plus éclatées, une quête intense de réunification se manifeste aujourd’hui. Or la transmission d’une vision unifiée de la personne « corps, âme et esprit » est justement au cœur de nos formations. Il n’y a en effet pas de bioéthique sans anthropologie, et nous souhaitons qu’une telle vision de l’homme aide chacun à unifier sa propre vie.

IEV – Que propose concrètement la communauté de l’Emmanuel en ce sens ?

MS.L. – À travers Amour et Vérité, les couples sont accompagnés et aidés pour accueillir la vie de façon responsable dans le respect des rythmes naturels. Un weekend est aussi proposé chaque année aux couples en espérance d’enfant, qui s’interrogent sur leur fécondité. Ils ont besoin d’être consolés, de partager leur épreuve et de mieux comprendre la position de l’Église sur l’aide médicale à la procréation. Depuis quelque temps, des membres de la Communauté cherchent aussi à annoncer la bonne nouvelle du salut aux personnes ayant atteint un grand âge. Elles sont en effet de plus en plus nombreuses mais peu de chose leur est proposé pour vivre ce temps dans l’espérance. Un beau parcours intitulé « Symeon » a déjà été expérimenté dans deux maisons de retraite. Il propose de relire sa vie à la lumière de la miséricorde de Dieu et de se préparer au moment de la rencontre avec le Seigneur.

IEV – Quelle évolution constatez-vous dans les attentes des participants aux journées de bioéthique ?

MS.L. – 50 % des personnes que nous touchons sont soignants ou travaillent dans le domaine de la santé. Depuis quelques années, on note spécialement une attente de plus en plus forte des jeunes professionnels de santé. Et pour la première fois, à Paray-le-Monial, du 10 au 14 juillet prochains, un parcours leur sera destiné (voir ci dessous).

Le parcours professionnels de santé à Paray-le-Monial

2soin toa heftiba 578093 unsplash 1Quels repères éthiques pour exercer mon métier en cohérence avec ce que je crois ?  Comment ma foi nourrit elle ma pratique de soignant ? Un parcours est proposé aux professionnels de santé à Paray-le-Monial, pendant la session du 10 au 15 juillet 2018.

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IEV – Pourquoi une telle attente de la part des jeunes professionnels de santé?

MS.L. – Du fait de l’évolution du contexte législatif, ils se demandent comment exercer leur métier en chrétiens. Ils ont le souci de garder leur liberté de conscience. Bien souvent, ces jeunes choisissent un métier de la santé avec le désir profond de prendre soin de l’autre, notamment du plus fragile, et ils peuvent se retrouver désemparés dans des contextes hostiles à la culture de vie.

En parallèle, nous observons un phénomène assez nouveau : des jeunes professionnels se regroupent pour créer de nouvelles structures de santé multidisciplinaire où la vie humaine est respectée dans toutes ses dimensions et quelle que soit sa faiblesse. Ainsi à Lyon, une maison médicale prenant en compte la personne humaine dans toutes ses dimensions a été ouverte. D’autres professionnels reprennent des structures existantes afin d’y déployer la culture de vie. C’est prometteur.

IEV – Des « réseaux culture de vie » sont en train de naître, en quoi consistent-ils ?

MS.L. – Nous incitons les professionnels de santé à se regrouper par région afin de ne pas rester isolés et de pouvoir prendre en charge les personnes de façon plus globale. Si nous, chrétiens, voulons pouvoir offrir des propositions allant dans le sens de la vie, il est vital que nous apprenions à nous appuyer les uns sur les autres et à travailler ensemble. Nous encourageons le développement de ces réseaux. L’idée est de se retrouver deux à trois fois par an pour se connaître, s’entraider, échanger des informations et accueillir des jeunes qui veulent s’installer.

IEV – Comment aborder le débat public des états généraux de la bioéthique ?

MS.L. – C’est un débat qui doit préparer la révision des lois de bioéthique et il est vrai que l’on assiste depuis quelques années à un recul législatif des droits de la vie, par exemple avec l’autorisation de la recherche sur l’embryon. En même temps, au-delà du résultat législatif, ce débat nous offre l’occasion d’entrer en dialogue avec nos contemporains et il faut la saisir. Les sujets bioéthiques sont désormais mieux connus du grand public. Ainsi, en ce qui concerne le « droit de mourir dans la dignité », contre toute attente, des arguments en faveur du « respect de la vie jusqu’au bout » progressent dans l’opinion publique. Par exemple, il y a 20 ou 25 ans, l’euthanasie se pratiquait dans les hôpitaux par injection de substance létale et les soins palliatifs étaient peu connus. Ce n’est plus le cas aujourd’hui: le bien-fondé des soins palliatifs est unanimement reconnu, même s’ils restent encore insuffisants. La législation a aussi permis de faire avancer le dialogue entre le monde médical, les malades et leur famille. Aujourd’hui, ces questions étant très débattues, les soignants sont beaucoup plus prudents. Même si des courants très puissants influent dans le sens d’une culture de mort, on entend plus clairement la voix de ceux qui font valoir une tout autre approche.

De même concernant la procréation médicalement assistée. On voit émerger au grand jour la question de savoir si la PMA doit répondre seulement à une « infertilité médicale » ou être étendue à « l’infertilité sociétale » (c’est-à-dire aux couples de femmes) ? De même, l’idée qu’il y aurait un « droit à l’enfant », porté par les revendications individualistes, commence à choquer une partie de l’opinion.

Tous ces débats permettent finalement de mettre à jour le fond des motivations des différents protagonistes. Le monde qu’on souhaite nous vendre comme un monde de progrès apparaît sous un jour finalement beaucoup moins attrayant. Ainsi en est-il de la GPA. Bien au delà des sphères catholiques, de nombreuses personnes mettent en garde contre cette pratique qui suppose la marchandisation du corps humain.

Tout cela manifeste combien il est important de participer aux États généraux de la bioéthique : au minimum on peut aller sur le site officiel pour donner son avis et voter mais on peut aussi s’investir dans les débats organisés par région.

IEV – Quelle posture adopter dans ces débats ?

MS.L. – L’objectif est d’abord de dialoguer, c’est-à-dire d’écouter, de comprendre les souffrances et les craintes de nos contemporains et d’apporter des contributions qui pourront les rejoindre. C’est une belle occasion d’aller vers les « périphéries ». Dans ces débats, cherchons à intervenir de façon dépassionnée, en faisant si possible référence à notre propre expérience et présentons les deux ou trois arguments phares que nous aurons préparés. La posture militante, qui consiste à vouloir à tout prix que nos arguments soient retenus, est contre-productive. En l’adoptant, nous risquons soit de nous décourager, soit de nous durcir. Il n’y a alors plus aucun dialogue possible et c’est très dommage.

Nos évêques nous encouragent en ce sens, alors faisons confiance à l’Esprit Saint, et participons à ce débat courageusement et humblement.

Pour plus de renseignements, aller sur le site lesjourneesdebioethique.com

Voir le site d’Il est Vivant !


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