Avez-vous déjà fait des expériences de vérité ?

Voilà bien une drôle de question : si nous avons déjà fait une expérience de vérité ? Oui, certainement … mais peut-être pas de façon volontaire, consciente, organisée, contrôlée avec bilan et prospective !

Je vais vous faire une confidence : j’aime beaucoup Gandhi. Or, il a écrit sa biographie et l’a intitulée : « Mes Expériences de vérité » (Editions Quadrige/PUF 1950). Il fait une relecture de sa vie à la lumière de la vérité. Comment, étant jeune, il a cédé à la tentation du mensonge et comment il en a été guéri. Comment, étant adulte, il a voué sa vie à un chemin de vérité, humble, courageux, et finalement passionnant.

Mais qu’est-ce qu’une expérience ? On peut avoir été ici ou là sans en avoir rien retiré. Ce qui fait la qualité d’une expérience, c’est la réflexion qui accompagne les situations que l’on a traversées. Il faut à certains beaucoup d’épreuves pour qu’ils se mettent à réfléchir, alors que des choses très simples nourrissent l’expérience de celui qui est attentif.

Alors nous pouvons faire des expériences de vérité parce que la vérité est quelque chose qui se pratique. Par commodité, pour ne pas se créer des complications avec les autres, nous cachons beaucoup de vérités, nous les édulcorons, et, en faisant cela, nous nous privons d’une expérience. Quelquefois, c’est sage, parce que la vérité a aussi ses moments et l’on doit sentir ce qui est opportun et ce qui ne l’est pas. Mais pour une fois où il a été sage de se taire, combien fois il aurait été encore plus sage d’être audacieux, avec douceur, avec le sourire, avec ingénuité peut-être. Laisser voir la vérité, c’est aussi accepter d’être vulnérable, donc d’être éventuellement blessé, d’être incompris. C’est aussi ouvrir la porte à des échanges simples, profonds, et finalement, à des amitiés qui ont le goût de l’essentiel.

Comment la vérité se pratique-t-elle dans le dialogue avec nos élèves ? sans doute en les amenant à se poser de vraies questions et, s’ils le veulent, s’ils le peuvent, à donner de vraies réponses. C’est un dialogue éducatif, entre un adulte et un jeune, un adulte qui ne fuit pas son rôle d’adulte et un jeune qui peut grandir.

Comment la vérité se pratique-t-elle avec nos collègues ? Entre égaux, c’est mille fois plus difficile qu’avec nos élèves. Parce que nous sommes plus vulnérables. Mais peut-il y avoir une communauté éducative entre collègues qui ne sont pas vrais entre eux ?

Comment la vérité se pratique-t-elle dans les relations d’inégalité hiérarchique, à l’égard d’un supérieur ou à l’égard d’un subordonné ? Au-delà du jeu de rôle social que nous jouons souvent, y a-t-il une ouverture vers la personne elle-même ? Cela dépend souvent de la rencontre entre deux disponibilités intérieures, celle de chacun des interlocuteurs. Ces moments sont des moments de grâce.

La vérité se pratique encore dans nos relations avec les parents de nos élèves. Certains diront que c’est vraiment tout un art ! Peut-être, oui : il y faut du métier, de la patience, de l’expérience !

La vérité se pratique enfin – ou plutôt d’abord – dans notre relation avec Dieu. La méditation est une expérience de vérité, si nous la laissons émerger au fond de nous. L’adoration est une expérience de vérité, quand nous acceptons l’immense majesté de Dieu, notre immense pauvreté et sa bouleversante miséricorde. Le sacrement du pardon est une expérience de vérité dont on ressort toujours grandi. Je reviens à Gandhi qui raconte, dans la première partie de son autobiographie, au chapitre VIII, comment, jeune adolescent, il avait volé quelque chose et, s’étant repenti, il était allé voir son père pour lui confesser sa faute :

« Je tremblais en tendant à mon père cette confession. Il souffrait alors d’une fistule et gardait le lit, qui était une planche en bois nue. Je lui tendis mon mot et m’assis, à l’autre bout de la planche. Il lut le mot sans en perdre une ligne, et des larmes perlèrent, coulant sur ses joues et mouillant le papier. Un instant, il ferma les yeux pour réfléchir ; puis il déchira le bout de papier. Il s’était mis sur son séant pour lire. Il s’allongea de nouveau. Moi aussi, je pleurais. Je pouvais voir qu’il souffrait atrocement. Si j’étais peintre, il me serait encore facile aujourd’hui de fixer toute la scène, tant elle vit toujours dans mon esprit. »

Et il commente :

« Ces perles d’amour et de douleur purifièrent mon cœur, le lavant du péché. Il faut avoir connu pareil amour pour en connaître l’exacte qualité […] Ce fut pour moi un cours pratique d’Ahimsâ (non-violence, paix intérieure communicative). Sur le moment, je n’y déchiffrais que l’amour d’un père ; mais aujourd’hui, je sais que c’était l’Ahimsâ dans toute sa pureté. Quand l’Ahimsâ embrasse toute chose, il n’est rien qu’elle ne touche sans le transformer. Son pouvoir et sans limite. Cette sorte de pardon sublime n’était pas naturelle à mon père. Je m’étais attendu à de la colère, à de dures paroles ; à le voir se frapper le front. Et je le trouvais extraordinairement paisible – grâce, j’en suis convaincu, à mon absolue confession. L’aveu sans réserve, joint à la promesse de ne plus jamais commettre le péché, lorsqu’on en fait l’offrande à qui est en droit de le recevoir, est le type le plus pur de repentir. Je sais que ma confession emplit mon père, en ce qui me concernait, d’un sentiment d’absolue sécurité, et que son affection pour moi s’en trouva démesurément accrue. »

Bernard de Castéra

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