Dans son livre Comme des colonnes sculptées (Éditions de l’Emmanuel, 2020), Claire de Saint-Lager évoque le célibat non choisi sur lequel elle pose un regard plein d’espérance. Elle propose de vivre ce long temps d’attente comme un temps d’alliance privilégiée avec Dieu, entre abandon et espérance. C’est le premier témoignage de notre série sur le sens de l’attente qui nous accompagnera durant tout l’Avent.
Dans votre livre, vous parlez de l’attente et du célibat qui se prolonge. Comment habiter le temps qui dure, ce temps que l’on n’a pas choisi, sans le subir?
Dans ce livre, je n’apporte pas de recette miracle, et c’est très délicat de vouloir donner une réponse à tout prix sur ce qui est avant tout un mystère dont on ne peut nier la souffrance, étant donné “qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gn 2, 18) mais surtout que l’épanouissement profond d’un être humain passe par l’accomplissement de la vocation à laquelle il se sent appelé. Dans toute souffrance, il y a un mystère et une injustice criante, dans celle du célibat qui se prolonge autant que dans une autre souffrance. L’indélicatesse actuelle serait de vouloir le nier soit en relativisant cette souffrance (« oui mais regarde ça te laisse du temps pour épanouir ta vie professionnelle ou pour voyager ») ou en culpabilisant les célibataires (« au fond c’est de leur faute, ils n’arrivent pas à se décider ou ils sont loupé le coche ») ou bien en ne regardant que du côté de la solution (« il faudrait organiser des rencontres »). Pour habiter ce temps, il faut pouvoir reconnaître qu’en tant que tel il n’a pas de sens d’un point de vue purement humain, et c’est d’abord en reconnaissant cela, qu’alors, chaque célibataire individuellement, va pouvoir habiter ce temps d’une façon singulière, à travers ce qu’il a de plus unique, trouver en lui des ressources insoupçonnées, faire de ce chemin de rencontre avec lui-même, de libération par rapport à toute pression extérieure, de choix personnel d’en faire un véritable temps de fécondité avec ses joies profondes malgré le manque, tout en gardant le cap de l’Espérance, en restant disponible à la rencontre et au fait que ce temps n’est pas figé, car nous sommes appelés au mouvement sans cesse.
Quelle fécondité pour l’attente?
L’attente creuse, elle émonde, elle nous renvoie à la profondeur de nos désirs. L’attente laboure intérieurement et transforme l’être. L’attente nous renvoie à nos limites, à notre pauvreté, à l’impossibilité de s’emparer par la simple volonté d’un bien qui est pourtant profondément juste et désirable comme celui d’aimer et d’être aimé, de fonder une famille. L’attente fait expérimenter que tout don se reçoit et que l’autre, la personne qui nous est confiée dans l’amour est un don. Elle n’est jamais un dû, elle n’est jamais le fruit de mes projections ou de mes besoins. Elle n’est pas là pour combler un manque, elle est radicalement autre… Ceux qui n’ont jamais expérimenté le manque, au fond ne savent pas aimer, ils savent seulement posséder, sûrs de leurs acquis et de leurs bons droits. Lorsque l’on ne sait pas recevoir, on a tendance à prendre. Pour recevoir, il faut accepter de se laisser aimer…
Comment vivre l’attente avec le Seigneur?
C’est sans doute cela que nous sommes appelés à expérimenter dans l’attente, c’est de se laisser aimer. Il ne s’agit pas tant de vivre l’attente avec le Seigneur que de vivre le PRÉSENT avec le Seigneur, que de faire l’expérience de son amour de prédilection, un amour toujours offert au cœur même du manque d’un amour humain. Cet amour toujours offert, il s’agit de le déceler au quotidien, à travers tout ce qui fait le sel de la vie : la beauté, la joie de la rencontre, la caresse du soleil, l’attention d’un proche, l’expérience d’une découverte, d’un voyage, la consolation d’une présence familiale ou amicale. Le Seigneur me connaît personnellement, il a une manière unique de s’adresser à moi et de me dire son amour. En apprenant à être attentif aux signes de son amour, peu à peu je me rends disponible aussi à le recevoir à travers quelqu’un, un être qu’il me sera donné d’aimer d’un amour de prédilection aussi. C’est une disponibilité à ce cœur à cœur que permet l’attente. Là encore je n’ai pas de recette, car le Seigneur ne fait jamais de « prix de gros, ou d’amour de masse », il ne connaît que le singulier. Au fond faire l’expérience de son amour, c’est aussi aller vers une rencontre avec le mystère de notre être. En découvrant toujours plus ce mystère, nous nous préparons aussi à l’offrir à l’autre comme un don.
Quels conseils donneriez-vous pour vivre ce temps d’attente qu’est l’Avent?
Il s’agit sans doute de vivre ce temps d’une façon toujours nouvelle. Chaque année nous nous préparons à accueillir l’enfant roi… et même si nous savons l’évènement auquel nous nous préparons. Rappelons-nous que Dieu n’est jamais prévisible. Marie et Joseph ont été bousculé par l’annonce de cette grossesse divine, ils ont été bousculés dans leurs plans. Et alors même qu’ils avaient dit oui, consenti au mystère, au moment de l’arrivée de cet enfant, ils sont bousculés à nouveau. Ils doivent quitter Nazareth où tout était prêt pour l’enfant pour aller à Bethléem… peut être que pour nous c’est pareil, nous pouvons préparer notre cœur en faire une crèche douce pour accueillir le sauveur et néanmoins une crèche toute pauvre, car nous n’avons pas le temps d’accumuler des certitudes, nous acceptons de nous laisser surprendre par Dieu.
Une phrase de la Bible qui vous touche particulièrement?
« Je suis venu pour que vous ayez la vie et la vie en abondance » (Jn 10, 10)… En fait j’aime profondément la parole de Dieu, donc c’est difficile de choisir. Mais ce verset nourrit ma vie, ma mission. Nous sommes appelés à la vie en abondance, non à la survie, à la sécurité à tout prix, à de petites jouissances étriquées. Nous sommes appelés à la liberté, à avoir le cœur large, à dépasser ce que nous connaissons, à accueillir toute chose nouvelle par la grâce de Dieu, à aimer follement. Vivre en abondance c’est vraiment vivre avec le cœur, avec tout l’être, loin du mental qui contrôle tout et justifie tout. La vie en abondance demande l’audace de lâcher ce à quoi je m’accroche.