Anthropologie biblique – Distinction entre l’homme et l’animal

Eléments d’anthropologie biblique sur la distinction entre homme et animal

 

             La Genèse nous donne des clés d’anthropologie, au point qu’on pourrait parler d’anthropologie révélée à partir d’un texte dont le message est à décrypter à travers une expression symbolique.

Les deux récits de la création au livre de la Genèse sont révélateurs de la nature spécifique de l’humanité dans sa différence avec le règne animal et dans cette structure fondamentale qu’est la relation fondatrice homme-femme.

Il suffit d’ouvrir n’importe quelle Bible aux premières pages pour trouver le livre de la Genèse, qui commence par deux récits de la création qui demandent à être interprétés car, s’ils étaient pris au pied de la lettre comme le font les fondamentalistes, ils se contrediraient.

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La distinction entre l’humanité et les autres vivants 

Le premier récit de la création présente un étalement de celle-ci sur six jours. Le cinquième jour sont créés les êtres vivants qui volent dans le ciel et ceux qui nagent dans les eaux. Le sixième, sont créés tous ceux qui vivent sur terre, d’abord les animaux et, dans un deuxième temps, les êtres humains. Pour ces derniers, il est fait une mention spéciale d’une parole du Créateur exprimant un projet spécifique qui les distingue clairement des tous les autres vivants. Ce projet est exprimé avant de l’acte de création :

« Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, comme à notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre » (Gn 1, 26).

Une fois créé le couple originel, le premier acte du Créateur est de donner sa bénédiction originelle (Gn 1, 28) à ce couple de l’homme et de la femme, paradigme de l’humanité, bénédiction fondatrice, premier acte divin à l’égard de l’humanité. Puis, le Créateur réexprime son projet à leur adresse, afin qu’ils en aient tout de suite connaissance :

« Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre. » (Gn 1, 28)

A la lecture de ce texte, la distinction de traitement entre l’humanité et les autres vivants est parfaitement claire. La raison profonde nous en est donnée par le verset 27 qui donne à l’humanité son statut spécifique, sa dignité propre :

« Dieu créa l’homme à son image,
A l’image de Dieu il le créa,
Homme et femme il les créa. »

La conséquence de cette distinction spécifique, c’est la domination à laquelle l’humanité est appelée sur le reste de la création. Puisque l’humanité est créée à l’image de Dieu, cette domination doit se faire à l’image de celle de Dieu, c’est-à-dire dans le respect des créatures et non comme une exploitation qui ne respecterait pas la nature et ses animaux.

Le deuxième récit de la création expose que le premier homme a été façonné à partir de la glaise et qu’il a reçu la vie par le souffle de Dieu. Le Créateur dit alors une parole qui a suscité de nombreuses interrogations et mérité bien des commentaires :

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie. » (Gn 2, 18)

Ce récit se poursuit par la création des animaux et leur présentation à l’homme (On constate que l’ordre chronologique de la création ne correspond pas à celui du premier récit, ce qui nous oblige à ne pas prendre ces textes au pied de la lettre, mais comme des textes symboliques dont le sens est à décrypter). Cette partie du récit conclut que l’homme ne trouvera pas parmi les animaux l’aide attendue. Nous reviendrons plus loin sur le sens de ce mot aide. Il est à remarquer que la présentation des animaux répond à un projet pédagogique du Créateur qui met l’homme en situation de réagir en donnant un nom à ces animaux :

« [Le Créateur] les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait. » (Gn 2, 19)

En effet, le fait de donner un nom plutôt qu’un autre est révélateur du type de relation que l’on espère entretenir. Cela sera significatif quand l’homme découvrira la femme que Dieu, après l’avoir créée, lui amènera : « A ce coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2, 23).

Nous pourrions presque conclure ici la révélation de la distinction entre l’humanité et les autres vivants, mais pour comprendre en profondeur le message biblique, il nous faut l’éclairer par la suite du récit : en effet, c’est la présence de la femme qui donnera le mieux à l’homme de comprendre sa différence avec les animaux.

 

L’humanité appelée à se distinguer de l’animalité par la relation homme-femme
L’une des choses remarquables dans le deuxième récit de la création, c’est que la femme soit créée après que l’homme ait été amené à reconnaître qu’aucun animal ne pouvait répondre à sa solitude. Car il s’agit d’une solitude très spécifique sur laquelle nous avons à nous interroger.

Adam et Eve au paradis | Heinrich Jenny | Estampe d'artNous devons revenir sur la réflexion que le Créateur se fait à lui-même (Gn 2, 18) quand il dit qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul et qu’il doit lui faire une aide qui lui soit assortie. Dans les traductions françaises du texte hébreu, on trouve souvent le terme d’aide, terme malheureusement ambigu puisqu’une aide peut être apportée, selon les situations, par un inférieur, un égal ou un supérieur et pour un besoin momentané, éventuellement très secondaire. L’hébreu ‘ézèr serait, selon Hélène de Saint-Amand (Sexuation, parité et nuptialité dans le second récit de la création), mieux traduit par secours, car un secours répond à une nécessité vitale et ne peut, à ce titre être apporté par un inférieur. La légitimité de cette traduction est justifiée aussi par le fait que le Créateur évoque un secours kenègdô, c’est-à-dire qui lui soit assorti comme un véritable homologue : l’être qu’il envisage de créer sera à parité avec l’homme et non pas du tout inférieur à lui. Si, tant que la femme n’est pas créée, il manque à l’homme cette intime parité qui seule lui serait secourable, c’est que la solitude qu’a décelée le Créateur lui est profonde, essentielle, et qu’elle concerne en quelque sorte son être même : l’homme ne peut devenir lui-même s’il demeure seul.

Evidemment, nous pouvons penser assez vite à la problématique de la transmission de la vie, impossible dans la solitude. Mais celle-ci n’est pas explicitement présente dans le texte. Il s’agit d’une stérilité plus globale et aussi plus profonde, qui touche à toute transmission de ce qui est humain en tant que tel. Tant qu’il demeure seul l’homme peut avoir une certaine communication avec les animaux, mais aucun ne peut recevoir ce qu’il a à transmettre de proprement humain : ni l’art ni la culture, ni les savoir-faire ni le savoir-être, ni le savoir ni la sagesse, car certains animaux semblent avoir savoir-faire et sagesse, ce n’est que l’instinct de leur espèce, instinct génial mais à l’acquisition duquel les individus en tant que tels n’ont nulle part. En effet, ce qui est en cause dans la solitude du premier homme en l’absence de la femme, c’est beaucoup plus que la transmission biologique de la vie. Ce n’est même pas le partage de la vie humaine, mais c’est, plus radicalement encore, une certaine humanisation de la vie.

Car de fait, cet homme ne peut vivre que pour lui-même. Et c’est pourquoi Hélène de Saint-Amand s’est autorisée cette traduction de levaddô : « Il n’est pas bon que l’humain soit pour lui seul » (Gn 2, 18). Vivant pour lui seul, l’être humain ne voudrait plus transmettre parce qu’il n’aurait plus rien à transmettre et ne s’intéresserait plus à un quelconque être humain qui aurait besoin de son secours. Il serait alors moins qu’un animal car les animaux, dans le cadre de leur espèce propre, ne sont pas seuls et ils transmettent la vie, l’expérience et bien des choses qui leur sont propres. Ils ne vivent pas pour eux seuls.

 

Concluons : nous ne pensons pas que ce soit dans la communion avec les animaux que l’homme puisse être secouru : il a besoin du secours d’un être semblable à lui, un homologue. En d’autres termes, l’homme n’est réellement achevé que par la création de la femme, si bien que leur achèvement, à l’un et à l’autre, ne peut se produire que par leur rencontre, par la rencontre de leur complémentarité, par leur nuptialité. Chacun d’eux ne peut atteindre à la vérité de son être qu’en s’engageant sur le chemin qui l’accorde à l’autre en tant qu’autre. La réalisation de cette correspondance suppose d’accepter pleinement la complémentarité des sexuations et leur parité en vue d’une symphonie nuptiale qui se révèle ici comme le projet du Créateur. Alors que chez les animaux, la rencontre des sexes ne vise qu’à la reproduction de la vie, chez les êtres humains, la génitalité est dépassée par un projet divin beaucoup plus profond qui, avant de concerner la transmission de la vie, se rapporte à ce SECOURS mystérieux que chacun apporte à l’autre sexe.

Bernard de Castéra

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