5 questions sur les 4 sens de la nature

Comment comprendre le terme de nature ? Le Père Pascal Ide a accepté de répondre à nos questions sur son dernier ouvrage qui traite de ce sujet : Les 4 sens de la nature.

1- Quels sont le but et la thèse de votre ouvrage Les 4 sens de la nature ?

Portrait Pascal Ide
Le Père Pascal Ide – Photo Eric Vandeville

Aujourd’hui, nous sommes pris entre deux grands modèles de compréhension des relations entre l’homme et la nature. Le premier, anthropocentrique, que décrit longuement le pape François dans Laudato sì, sous le nom de « paradigme technocratique : il a conduit à la crise écologique sans précédent que nous connaissons aujourd’hui. L’homme y est vu comme celui qui domine la nature en l’exploitant. Le second, opposé et réactif, est biocentrique ou écocentrique : désormais, l’homme n’est plus qu’un prédateur qui, au minimum, est une espèce vivante parmi d’autres et, au maximum, doit payer ses crimes en disparaissant à son tour.

Ce livre désire offrir une vision intégrale de l’homme et de la nature qui renvoie dos-à-dos ces deux visions tronquées, mais en honorant leur part de vérité.

2-Quel parallèle faites-vous entre le livre de l’Écriture sainte et celui de la nature ?

L’Écriture et la nature ont un point commun trop ignoré : elles racontent toutes deux une histoire ! D’un côté, la Bible est le seul texte fondateur de religion qui soit principalement composé de récits. Pour une raison simple et totalement nouvelle : Dieu descend dans notre histoire. De l’autre côté, c’est un acquis très récent, toutes les réalités naturelles ont une histoire avec un commencement et une évolution irréversible. Prenez la Terre : grâce à la tectonique des plaques, la surface ne cesse de se renouveler à partir de ses profondeurs, de sorte que le fond des océans, la croûte terrestre n’est pas plus ancienne que 200 millions d’années (alors que notre planète est presque 23 fois plus âgée).

Mais il y a plus. Cette histoire a un sens ou plutôt plusieurs sens. Et c’est ce qu’exprime le titre un peu intriguant du livre. Je propose une hypothèse suivante, encore jamais explorée : les Pères de l’Église ont montré que l’Écriture présente quatre sens. Et, justement, ces quatre sens proviennent de l’histoire. Par exemple, quand, la nuit de Pâques, nous lisons la traversée de la mer Rouge, nous savons que cet événement préfigure la résurrection du Christ. Ces deux sens, littéral (la traversée de la mer Rouge) et allégorique (la résurrection du Christ), renvoient à deux événements de l’histoire, dont l’un prépare et prophétise l’autre. Il en est de même des deux autres sens de l’Écriture, moral et eschatologique : le sens moral renvoie au présent (comment je m’approprie la Parole de Dieu au quotidien ?) et le sens eschatologique ouvre à l’avenir (quelle espérance s’ouvre devant moi ?). Eh bien, j’applique cette hypothèse, analogiquement, à la nature. Telle est l’intention la plus profonde du livre : déployer la grandiose histoire de la nature qui est une création où l’environnement, l’homme et, osons-le dire, le fruit de leur rencontre, la technique, ont pleinement leur place.

3-Comment l’homme, seule créature « à l’image de Dieu », peut-il retrouver un rapport harmonieux avec la création qui lui est destinée ?

Si, justement, j’applique les deux premiers sens, littéral et allégorique, à la nature, qu’est-ce que cela donne ? Les hommes de l’Ancien Testament attendent le Christ qui, dans le Nouveau Testament, apparaît comme l’accomplissement des promesses contenues dans l’Ancien. Or, au point de départ, et pendant des milliards d’années, nous avons seulement le cosmos. Mais il n’est pas achevé. Il évolue. Or, la nature est riche de promesses, de ressources, qui ne trouvent leur accomplissement que par l’homme. Par exemple, cette invention si simple et pourtant si révolutionnaire qu’est la roue n’existe pas dans la nature. Sans rien dire de l’invention du pain et du vin…

Dès lors, je suis à même de comprendre les deux visions étriquées, biocentrique et anthropocentrique, dont nous avons parlé. La première en demeure à la seule nature, comme si l’on réduisait l’Écriture à l’Ancien Testament. La seconde se limite à l’homme, comme si, symétriquement, l’on amputait l’Écriture en ne gardant que le Nouveau Testament. Ce n’est pas par hasard si sont presque contemporains, d’un côté, Luther qui propose une lecture intégralement christologique de la Bible (donc ne voit que le sens allégorique), de l’autre, Descartes qui introduit cette vision anthropocentrique d’un homme « comme maître et possesseur de la nature » (Discours de la méthode).

4-Quelle place prend la gratitude, thème qui vous est cher, dans notre juste rapport à la nature ? Est-ce une voie pour retrouver un rapport non culpabilisant, mais responsable, envers la nature ?

Je suis frappé de voir combien il y a, chez les chrétiens, à la fois un attrait pour l’écologie, notamment à la suite de l’encyclique du pape François, et un ras-le-bol, comme une saturation. Or, celle-ci vient, me semble-t-il, de trois raisons : l’inflation du discours écologique (sans rien dire de l’idéologie biocentrique) ; son caractère souvent moralisateur et culpabilisant ; enfin, le découragement, voire la désespérance face à certains modèles catastrophistes – ceux que les collapsologues appellent les « çavapétistes » (« ça va péter ») !

Or, cet écologisme ressemble fort aux homélies moralisantes dont, nous, les prêtres, nous nous sommes fait une spécialité ! Et, comme par hasard, ces homélies réduisent l’Écriture à son troisième sens, le sens moral, oubliant de l’enraciner dans l’histoire sainte (les deux premiers sens), et de l’ouvrir à l’avenir, donc à l’espérance.

Voilà pourquoi j’ai proposé un cheminement qui prenne en compte l’intégralité des quatre sens. Bien sûr, il est indispensable de parler de notre responsabilité écologique. Mais, pour ne pas nous épuiser en la réduisant à un devoir de plus, il s’agit, d’un côté, de l’enraciner dans la gratitude (la nature, quelle merveille ! et l’homme, quelle merveille au carré !) et la compassion (c’est un aspect ignoré de Laudato sì), de l’autre, dans l’espérance. Réinscrire nos brèves histoires dans la grande histoire de la création nous redonne souffle et confiance !

5-Votre livre propose une vraie réflexion et quelques pas de conversion. A quels lecteurs destinez-vous Les 4 sens de la nature ?

Bien entendu, aux chrétiens ! Mais aussi à tout chercheur de vérité, toute personne passionnée par les questions de nature et d’écologie. Pour écrire ce livre, j’ai beaucoup lu, j’ai, entre autres, découvert le passionnant courant que l’on appelle l’écopsychologie qui est à la fois réaliste et plein d’espérance. J’affronte aussi des questions qui agitent l’éthique écologique, par exemple : la nature est-elle seulement un bien utile ou possède-t-elle aussi une valeur intrinsèque, indépendamment de son usage ? Une fois n’est pas coutume, je raconte aussi un certain nombre d’histoires, par exemple concernant la nature et le cosmos. Que j’aime cette parole de la liturgie : « Le Ciel et la Terre sont remplis de ta gloire ! »

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