Mgr Emmanuel Dassi, évêque de Bafia au Cameroun nous confie ses attentes et ses espérances
Après deux jours de retraite spirituelle, la 2ème session de l’Assemblée Générale du Synode s’est ouverte mardi soir par une veillée pénitentielle.
Jusqu’au 27 octobre, les 368 membres de l’Assemblée synodale vont travailler sur un rythme un peu différent de la première assemblée : moins d’assemblées plénières, plus de temps pour la réflexion, la prière et le discernement. 53 femmes font partie des 368 membres de l’Assemblée composée à 75% d’évêques.
Parmi eux, Mgr Emmanuel Dassi, évêque de Bafia au Cameroun.
Mardi, la deuxième session du synode pour la synodalité s’est ouverte par une veillée pénitentielle au cours de laquelle 7 cardinaux ont demandé pardon pour des péchés plutôt inhabituels…
Mgr Dassi : « Même si c’est original, cette veillée s’est vécue dans la tradition de demande de pardon inaugurée par les prédécesseurs du pape François. Les péchés contre la Création, qui engendrent sa destruction sont quelque chose de nouveau mais si nous nous plaçons dans la logique de Laudato si, nous comprenons aisément que détruire la Création est un grand péché. C’était une très belle soirée miséricorde. »
Lors de la messe d’ouverture, mercredi matin, quelle orientation le pape François a-t-il donné pour cette nouvelle phase du synode ?
Mgr Dassi : « François a insisté sur l’écoute : que nous nous mettions tous, vraiment, à l’écoute du Seigneur et de l’Esprit-Saint, sans être dans une attitude d’auto-écoute personnelle. Il a utilisé l’image de l’enfant dans l’évangile du jour pour signifier la nécessité de s’abaisser, d’être dans cette disposition d’enfant pour entrer dans l’esprit synodal. C’est ce que j’ai retenu principalement. »
Se mettre à l'écoute du Seigneur et de l'Esprit-Saint : une grâce pour l'Eglise
Selon vous, la méthode synodale, qui a été critiquée par certains qui craignent un affaiblissement de l’autorité de l’Eglise, est-elle une chance ou un risque ?
Mgr Dassi : « La méthode synodale consiste à se mettre à l’écoute du Seigneur dans l’Eglise et à chercher la volonté de Dieu pour l’Eglise. Si quelqu’un incarne une autorité dans l’Eglise sans être en quête de la volonté de Dieu, il confond pouvoir et autorité.
Il y a une seule autorité c’est celle du Seigneur. C’est le principe du processus synodal. Nous sommes tous soumis à son autorité. Soumis, non pas dans le sens d’un fardeau qui écrase mais plutôt dans le sens d’une libération. La conversation dans l’Esprit consiste à s’écouter les uns les autres pour être tous à l’écoute de l’Esprit-Saint : c’est parce que chacun, avant de parler, commence par écouter ce que l’Esprit-Saint lui dit personnellement, que nous nous écoutons mutuellement en toute humilité que nous pouvons entendre ce que l’Esprit-Saint nous dit tous ensemble.
Cette méthode n’est donc pas seulement une chance, c’est une grâce pour l’église. Si on s’y soumet, l’autorité de l’église et de l’évêque n’en sera pas affaiblie mais en sortira affermie.
En ce qui me concerne, je serai plutôt content d’être entouré pour prendre les nombreuses décisions que je dois prendre en tant qu’évêque, par des chrétiens qui, comme moi, se mettent à l’écoute de l’Esprit-Saint. »
Un forum est prévu sur « le rôle et l’autorité de l’évêque dans une église synodale ». Qu’en attendez-vous ?
Mgr Dassi : « Une expression qui traverse tout le synode c’est la conversion synodale : le fait d’acquérir des automatismes, chacun selon sa vocation dans l’église, qui permet que la marche commune à la suite du Christ vers le royaume, puisse se faire le plus facilement possible, sans lourdeur à cause d’une mauvaise compréhension du rôle de chacun.
Donc je vais à ce forum avec l’humilité de l’évêque qui désire améliorer sa manière d’être évêque, sa manière d’accompagner le peuple en étant lui-même brebis, à la suite du seul pasteur qui est le Christ. Donc je me dispose à vivre une conversion et j’en sortirai grandi.
On dit souvent que les évêques se sentent seuls. Je peux en témoigner ! Pourtant, toute l’église est animée par l’Esprit-Saint, les évêques, les prêtres, les laïcs… Donc il y a la de précieux charismes que le Seigneur me donne pour m’aider dans ma mission de discernement. Le synode veut nous aider à aller plus loin dans cette co-responsabilité entre laïcs et prêtres en Eglise. »
Avez-vous déjà changé des choses dans votre diocèse depuis le début du synode ?
Mgr Dassi : « J’ai nommé des femmes à certaines responsabilités, notamment à la coordination diocésaine de la Caritas. Je l’écoute beaucoup concernant les questions d’accompagnement des plus pauvres. Je me tiens prêt à aller plus loin selon ce que le synode décidera. »
Le rapport publié suite à la première session du synode l’année dernière proposait un regard renouvelé sur le monde et sur l’Eglise. Qu’est-ce qui vous a donné le plus d’espérance à l’époque ? et au contraire, y a-t-il des orientations qui vous ont surpris ou chahuté ?
Mgr Dassi : « Ce qui m’a donné le plus d’espérance c’est l’image de l’Eglise synodale, comprise comme la marche des chrétiens ensemble à la suite du Christ vers le royaume avec toute l’humanité. On a insisté sur la coresponsabilité de tous les baptisés dans cette marche missionnaire vers le royaume. Missionnaire, car sur le chemin, nous sommes appelés à inviter des personnes à nous rejoindre, notamment les chrétiens non pratiquants.
J’espère aussi qu’on va en tenir compte dans l’initiation chrétienne : qu’elle ne serve pas seulement à distribuer des sacrements à des personnes qui vont disparaitre mais qu’elle insiste plus sur le fait qu’en recevant le sacrement, on fait partie d’un peuple en marche. J’espère que le synode nous aidera à mieux vivre ces sacrements pour qu’on se sente plus missionnaire en église.
A la fin de la première session, nous avons voté un document final et cela m’a apporté beaucoup de satisfaction. Compte-tenu de tous les courants, parfois opposés, qui ont traversé l’assemblée synodale l’année dernière, ce à quoi nous avons abouti au point de voter à la large majorité chaque paragraphe c’est un témoignage de l’action de l’Esprit-Saint. »
Travailler la coresponsabilité différentielle entre tous les baptisés
Parmi les nombreux sujets évoqués, quels sont ceux qui sont prioritaires selon vous pour votre église locale, dans une articulation parfois difficile avec l’église universelle ? C’est d’ailleurs le thème de l’un des forums : « les relations mutuelles entre église locale et église universelle. »
Mgr Dassi : « Je pense que pour moi, travailler la question de la coresponsabilité différentielle de tous les baptisés est quelque chose de capital. Pour l’avoir expérimentée au sein de l’Emmanuel, je sens que cela peut apporter beaucoup de choses à l’Eglise qui est, jusqu’à maintenant, dans une vision assez figée de l’exercice de la responsabilité.
Nous devons partager. J’attends que le synode nous aide à approfondir cette co-responsabilité différentielle et que les laïcs spécialement, et parmi eux les femmes, soient, plus que par le passé, parties prenantes de la responsabilité de l’Eglise.
Dans ce sens la question du processus de prise de décision dans l’église occupe à juste titre les esprits. Parfois, on peut avoir encore un mode de fonctionnement qui n’ouvre pas la porte à la participation de ceux qui pourtant doivent être dans la mise en œuvre.
"Nous devons être solidaires les uns des autres car nous sommes une seule et même Eglise."
D’autre part, j’attends beaucoup de la mutuelle sollicitude entre églises : il nous faut avancer un peu plus dans la coopération entre églises, c’est toute l’église qui en sortirait gagnante. Chez moi, nous sommes une jeune église : mon diocèse n’a même pas 60 ans…Dans le reste du monde, il y a des diocèses millénaires qui ne savent pas quoi faire des presbytères construits il y a parfois des siècles. Certains peuvent parfois ne pas nous comprendre quand nous sommes dans une dynamique de création de nouvelles paroisses et que nous cherchons comment faire pour avoir un presbytère pour loger nos jeunes prêtres car nous avons des vocations… En échangeant mutuellement, nous devons nous enrichir et porter ensemble nos préoccupations respectives.
Pour l’église d’Afrique, mais comme en Europe je crois, notre première préoccupation est de savoir comment être une église synodale en mission, dans notre contexte particulier, avec un peuple qui vit largement dans la misère ce qui entraine des migrations.
Mes frères et sœurs n’en peuvent plus et sont prêts à des aventures mortelles pour essayer de voir s’ils peuvent avoir une meilleure vie. Comment évangéliser dans un tel contexte avec des jeunes qui désespèrent, des gens qui vivent encore difficilement des blessures du passé ? Comment vivre en église, en Afrique, sans être une succursale de l’Eglise d’Europe, en vivant pleinement dans nos valeurs cette foi évangélique, dans un contexte où nous sommes menacés d’idéologies venant d’ailleurs et qui cherchent à porter atteinte à l’anthropologie ?
L’Afrique attend du synode d’être affermie dans ce qui constitue la vérité de l’Eglise. Tout ce qui peut paraitre comme un compromis avec les idéologies et l’esprit du monde nous fait très mal… Enfin, comment évangéliser dans un contexte où, nous, pasteurs, ne devons pas seulement nous préoccuper du spirituel car nous risquons d’amener au ciel des gens comme si la terre n’existait pas ?
Par exemple, j’ai 25 séminaristes que je n’ai pas les moyens de former. Tous les ans, je dois chercher des solutions pour trouver de quoi les former. Ce sont des séminaristes pour l’Eglise, même s’ils seront en mission dans mon diocèse. Pour l’Eglise universelle !
Nous devons être solidaires les uns des autres car nous sommes une seule et même Eglise.
Enfin, nous ne devons plus avoir une idée figée des lieux : à cause de l’urbanisation, des migrations, des mobilités humaines en général, nous sommes dans un monde en mouvement et nous ne pouvons plus penser l’église à partir de la paroisse, du diocèse… nous devons rejoindre les gens. Il faut repenser les espaces, pas seulement sur le plan géographique, mais aussi sur la planète numérique… Donc j’espère que ce synode nous aidera à avancer dans ces problématiques.
Et pour finir, je voudrais ajouter que mon désir est que toute l’Eglise se convertisse, pas seulement l’Assemblée synodale ! »