Rencontre avec
Pierre-Yves Gomez
Économiste, Pierre-Yves Gomez est laïc consacré
dans le célibat pour le royaume, dans la
Communauté de l’Emmanuel. Il a beaucoup
travaillé sur la doctrine sociale de l’Église.
PROPOS RECUEILLIS PAR IL EST VIVANT !
PIERRE GOURSAT ET LA MISSION DES LAÏCS
Selon vous, comment Pierre Goursat voyait-il la mission des laïcs ?
Il a été lui-même un laïc très engagé notamment dans les combats culturels. De même, il a vécu les questions d’Église du point de vue du laïc. En fondant la Communauté de l’Emmanuel il a participé à l’évolution de l’Église en affirmant le rôle des laïcs non pas en opposition au sacerdoce ou à la vie religieuse mais en communion. Il a pris au sérieux le fait que le monde est notre lieu commun de sanctification comme le concile Vatican II l’avait affirmé. Lui, parmi d’autres, a contribué à le mettre en œuvre.
Notre sanctification se joue ici et maintenant avec cette société, ces voisins, ces collègues
Car dans les faits, 99 % des baptisés sont des laïcs et c’est sur eux que portent principalement non seulement l’annonce mais la réalisation du Royaume. Déjà depuis le début du XIXe siècle, un courant catholique important insistait sur leur place pour manifester la dimension chrétienne de la vie sociale et prendre toutes leurs responsabilités dans la vie publique au nom de leur baptême. Le travail, la vie politique, l’engagement au coeur du monde, sont sanctifiants : ils expriment l’épanouissement de la vie
chrétienne. La doctrine sociale de l’Église en fait la synthèse, dans une forme moderne mais pas entièrement nouvelle car à
tous les moments de son histoire, l’Église a réfléchi sur les questions d’argent, d’engagement politique, de justice
sociale…
Pierre Goursat a vécu au coeur du Paris du XXe siècle, en exerçant un métier peu ordinaire de critique de cinéma. Il se devait donc de contribuer à la vie de la société, y compris en portant un regard critique sur les films et les représentations qu’ils véhiculaient. Son lieu d’observation était particulièrement intéressant pour comprendre, aimer et discerner l’évolution du monde. Il était bien placé pour comprendre que celui-ci est finalement notre unique lieu de sanctification, là où on peut devenir saint – ou échouer à le devenir. Il est naïf de se retirer dans des lieux déserts pour attendre un soi-disant monde meilleur… Quelles que soient nos responsabilités, même modestes, notre sanctification se joue ici et maintenant, dans cette société, avec ces voisins, ces collègues…
« Être dans le monde sans être du monde » en quelque sorte. Comment définiriez vous « le monde » ?
Comme le réseau de relations dans lequel se déploie notre vie quotidienne. Ou, pour prendre des mots d’aujourd’hui, le monde, c’est notre milieu de vie. Ce milieu que l’on doit habiter comme un chrétien, pour se sanctifier c’est-à-dire développer sa pleine humanité. Le saint est celui qui contribue, par sa vie, à rendre le monde plus vivable pour les autres. Et donc, quand on méprise le monde, quand bien même on est confit en dévotions et en prières, on reste dans un imaginaire confortable mais on passe à côté de la possibilité de se sanctifier, c’est-à-dire de se réaliser pleinement dans le concret des relations avec les autres. C’est tout le sens et la grandeur de l’incarnation : Dieu au milieu de nous ! Jésus appartenait à la société juive de son époque asservie par les Romains. Et c’est bien l’amour du monde qui le conduit à offrir sa vie. Sans quoi la croix est incompréhensible, non seulement comme supplice, mais aussi comme choix. Depuis, l’Église a toujours combattu l’idée qu’une mise à l’écart permet la sainteté comme si les saints étaient des fantômes indifférents au monde réel. Prenez les moines d’Occident : ils ont bâti par leur travail et leur prière les bases de notre civilisation. Loin de vivre « à l’écart », ils étaient au coeur du monde.
Les saints ne sont pas des fantômes indifférents au monde réel ; ils y sont pleinement engagés
Qu’est-ce que la vie consacrée dans le célibat pour le royaume au sein de la Communauté de l’Emmanuel ?
Selon l’intuition de Pierre Goursat, les hommes consacrés dans le célibat sont ferments de la Communauté. C’est elle qui leur donne leur raison d’être. Nous ne prononçons pas de vœux mais un engagement particulier dans l’Emmanuel et si je quittais la Communauté, je ne serais plus consacré. C’est donc un état de vie dont la garde est confiée à
la Communauté. Lors de notre engagement définitif, le rituel pose aux membres présents la question : « Et vous, êtes-vous prêt à honorer et à soutenir votre frère ? » Il y a alors un double engagement, celui d’un homme consacré dans le célibat qui s’engage dans et avec la Communauté pour témoigner du royaume de Dieu déjà présent dans le monde.
Qu’est-ce que cet engagement dit du laïcat au sein de l’Emmanuel ?
Que nous sommes pleinement des laïcs au même titre que les pères de famille ou les célibataires. Nos engagements au quotidien sont les mêmes que nos frères et soeurs (messe, temps de prière, maisonnée…). Le célibat est seulement le signe marquant une dépendance
assumée comme telle à l’égard de toute la Communauté. Signe que notre activité dans le
monde doit participer à le rendre plus vivable pour les autres. Avec la grâce de Dieu qui passe dans nos pauvretés, le consacré rappelle cette réalité que tu peux vivre un chemin de sanctification là où tu vis, pleinement dans le monde, avec les engagements qui sont les tiens. Les formes sont différentes, mais la perspective est la même : aide-moi à la réaliser pour que je t’aide à la réaliser.











