Imiter Pierre Goursat ?

Portrait Pascal Ide

Décryptage

Pierre Goursat a été déclaré vénérable. Cette reconnaissance par l’Église de l’exemplarité de ses vertus ne signifie pas pour autant qu’il était sans défaut. Est-il imitable et si oui, en quoi ?

Par le père Pascal Ide

Prêtre de l’Emmanuel, médecin, philosophe et théologien.

Dans la première préface des saints, nous prions : « Dans leur vie, tu nous procures un modèle [exemplum] ». Assurément, Pierre Goursat n’est pas canonisé, mais il est vénérable. Or, le critère de la vénérabilité est l’héroïcité des vertus qui sont éminemment imitables. Mais cette imitation pose trois problèmes.
1. Nous n’avons qu’un seul modèle, le Christ : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13, 15).

2. Imiter, c’est devenir passif (que devient l’effort vertueux ?) et subjectif (que devient l’objectivité de la loi ?).

3. L’on prête à saint Jean de la Croix ce mot piquant : « N’imitez pas les saints, vous imiterez leurs défauts ! » Répondons en appliquant notre propos à Pierre Goursat.

Ce que Pierre Goursat voulait avant tout, c’était que nous suivions Jésus. Or, « qu’est-ce que suivre, sinon imiter ? » Saint Augustin

1. Saint Paul appelle à imiter le Christ (cf. Ph 2, 5 s), Dieu (cf. Ép 5, 1). Pourtant, il a l’audace de demander de l’imiter lui-même : « Soyez mes imitateurs », mais n’oublions pas la suite : « comme je le suis moi-même du Christ » (1 Co 11, 1).

Je n’ai pas souvenir que Pierre Goursat ait jamais demandé qu’on le prenne pour modèle. Il était trop effacé pour cela. Mais assurément, ce qu’il voulait avant tout, c’était que nous suivions Jésus. Or, « qu’est-ce que suivre, sinon imiter ? », disait saint Augustin, commentant la parole du Christ à l’homme riche : « Viens, suis-moi » (Mc 10, 21).

Au début des années 1980, je participais à un groupe de prière qui avait été fondé, dans le sillage de la Communauté de l’Emmanuel, dans le diocèse de Saint-Denis. Comme il y avait des tensions entre les responsables, Pierre, à leur demande, était venu ; il était accompagné de Dominique de Chantérac. Il a écouté patiemment les remarques des uns et des autres, remarques qui n’étaient pas dénuées de reproches. Il n’a pas beaucoup parlé. Il a posé une question : « Et maintenant, si nous priions les uns pour les autres ? » Ce que nous avons fait longuement, chacun demandant à tour de rôle la prière. Au terme, il a proposé : « Ne pensez-vous pas qu’il serait bien que les anciens laissent plus de place aux jeunes ? » Ce qui a été paisiblement accepté.

Pierre nous a ainsi invités à nous placer non pas devant les autres, mais devant Jésus. Ce qui a dénoué la situation et fait renaître la charité qui « pardonne tout » (1 Co 13, 7).

Pierre Goursat n’était pas un homme de la loi ; il préférait que nous soyons conduits par l’amour de Jésus et de Marie

2. Pour cheminer à la suite du Christ, nous avons besoin de tresser la loi, la vertu et le modèle. La loi donne le but à atteindre (les dix commandements, les commandements de l’Église, etc.), le modèle le montre déjà réalisé ; la vertu dessine le chemin entre les deux. La loi est la partition notée, le modèle, la partition jouée par un autre, la vertu, la partition jouée par le sujet lui-même. Pierre Goursat n’était pas un homme de la loi : il l’avait intériorisée ; il se méfiait du jansénisme (qui est un excès de loi) ; il préférait que nous soyons conduits par l’amour de Jésus ou de Marie. Mais il était avant tout l’homme de la vertu, sans que pour autant il emploie ce terme. C’est ainsi qu’il insistait beaucoup sur les petits pas, il soulignait l’importance des moyens à mettre en place avec régularité (carnet de sanctification, long temps de prière quotidien, qu’il vente ou qu’il pleuve, fidélité à la maisonnée, etc.)

3. Venons-en à la difficulté principale, le risque d’imiter les défauts. Je distinguerai quatre fils chez un modèle.

Un fil d’or : ce sont ses vertus.

D’abord, les vertus théologales : « Nous sommes encouragés par leur témoignage [des saints et des bienheureux] à les imiter pour croître dans la foi, dans l’espérance et dans la charité » (Benoît XVI). Et ce qui en est tout  proche, comme l’humilité. Mais aussi les vertus morales (prudence, probité, etc.). Sans oublier les vertus intellectuelles (savoir, savoir-faire, etc.). De ce point de vue, multiples sont les vertus que nous pouvons suivre chez Pierre : avant tout, son humilité obéissante, sa piété, sa charité compatissante, son amour de Jésus et de sa Mère, son abandon confiant, son zèle sa sobriété ; mais aussi sa créativité, son humour, sa curiosité (le dialogue avec la culture de son époque), etc. Bien évidemment, chacun se sentira diversement rejoint par telle ou telle de ces qualités, selon qu’elles lui manquent ou qu’il souhaite l’approfondir.

Un fil d’argent : il s’agit du charisme et de la mission du modèle.

Propres à la personne, ils n’ont donc pas à être imités, sauf vocation particulière. Tout chrétien n’est pas appelé à épouser Dame Pauvreté, comme saint François d’Assise. Tout membre de la Communauté de l’Emmanuel n’a pas reçu la mission d’être consacré dans le célibat, prier de longues heures devant le Saint-Sacrement, se dépouiller de presque tous ses biens matériels, vivre sur une péniche, etc. De plus, avec cette vocation, le modèle reçoit en partage des talents qui lui sont personnels. Tout le monde n’a par exemple pas reçu le don de la créativité que Pierre Goursat avait en matière d’évangélisation.

Un fil de bronze : il s’agit des blessures subies par la personne, de ses angles morts, des limites liées à son histoire, son éducation, etc.

C’est ainsi que Jean Paul II n’a pas su voir les abus commis par le fondateur des Légionnaires du Christ. Encore moins que le fil d’argent, le fil de bronze n’est imitable. On le sait mieux aujourd’hui, Pierre Goursat fut blessé par la mort de son frère cadet ou la vie qu’a menée son père. De même, par son histoire, son éducation, le contexte ecclésial où il évoluait, Pierre nourrissait des peurs qui conduisaient à des taches aveugles : il se méfiait du monde, de la psychologie, de l’émotion. L’on peut toujours y trouver des explications : Pierre craignait que les personnes ne se regardent trop ; ses limites sont les revers de ses qualités ; etc. Il demeure que ces peurs l’ont par exemple conduit à minimiser l’importance des précieux outils que les sciences humaines nous offrent.

Avec la conversion vécue tout au long de la vie, le fil sombre s’amincit, sans jamais disparaître

Un fil sombre : ce sont les péchés, les mauvais plis.

Hors Jésus et Marie, tous les hommes sont pécheurs et, malheureusement, jusqu’à la fin de leur vie. Même si, au terme de la vie des saints canonisés, ces fautes ne sont plus que des peccadilles ! Avec la conversion permanente, le fil sombre s’amincit, sans jamais disparaître !

Nous sommes souvent tentés de magnifier les zones de lumière et de minimiser les zones d’ombre chez ceux que nous aimons. Cette idéalisation est compréhensible. Surtout au début. Mais, d’abord, la Bible ne fait pas ainsi : elle ne cache en rien la témérité et la trahison de Pierre (je parle de l’Apôtre !) ; et même après la Pentecôte, il fera preuve de lâcheté et d’hypocrisie vis – à- vis de ses frères juifs, ainsi que Paul le lui reprochera vertement (cf. Ga 2, 11-14). Ensuite, cher est le prix à payer : un saint sans défaut est assurément admirable, mais il n’est plus du tout imitable ! Il décourage plus qu’il n’attire. Enfin, cessons de croire que le péché est scandaleux. Ce qui est scandaleux, ce n’est pas de commettre un péché, mais de ne pas le reconnaître, ne pas en demander sincèrement pardon et ne pas s’amender durablement ! Dans l’histoire de l’Église, les écrits et les vies qui ont exercé la plus profonde influence sont ceux qui racontent en détail une conversion, depuis les Confessions de saint Augustin jusqu’au cheminement de saint Charles de Foucauld.

Pierre Goursat était ironique. Il a un jour pris conscience que cette ironie blessait les autres et il a cessé de se moquer. Mais il avait aussi d’autres défauts et pouvait : être laxiste à l’égard de certaines lois, comme la limitation de vitesse ; changer d’avis en dernière minute sans respecter totalement le travail fait par ses collaborateurs ; minimiser, de par son exigence volontariste, les difficultés éprouvées par certains ; méconnaître ce qui se cherchait et se faisait dans d’autres écosystèmes ecclésiaux ; etc. Une biographie de Pierre Goursat qui montrerait mieux ses défaillances, jusqu’au terme de sa vie, ainsi que son combat contre elles, nous serait bien éclairante !

Réjouissons-nous de ce qu’une nouvelle figure exemplaire soit donnée à notre temps et exerçons notre discernement !

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