Saint John Henry Newman proclamé 38ème docteur de l’Eglise

Chercher la vérité et suivre sa conscience à tout prix

Grand intellectuel anglican devenu catholique, le Cardinal Newman, canonisé en 2019, a été proclamé docteur de lEglise par le pape Léon XIV le 1er novembre dernier, et co-patron du monde éducatif au côté de Saint Thomas dAquin.

Dans le XIXème siècle marqué par le rationalisme, John Henry Newman aura légitimé lacte de foi et montré comment le bon usage de la conscience permet darticuler la foi et la raison.

Retour sur litinéraire de cet enseignant qui naura cessé de chercher la vérité toute sa vie, avec le père Augustin Servois, vicaire à la basilique du Sacré-Cœur de Koekelberg (Belgique).

 

Le 1er novembre dernier, Saint John Henry Newman a été proclamé 38ème docteur de l’Église, à l’image de Sainte Thérèse de Lisieux, Saint Thomas d’Aquin ou Saint Augustin. Les docteurs de l’Église sont avant tout des saints. Alors que son procès en béatification a été ouvert en 1958, il a été déclaré vénérable pendant le pontificat de Saint Jean-Paul II en 1991, béatifié par Benoît XVI en 2010, canonisé par François en 2019, et enfin proclamé docteur de l’Église par le pape Léon XIV : « Une belle unanimité des papes qui ont les uns après les autres reconnu la valeur de ce saint immense et voulu promouvoir la réception de ses travaux » remarque le père Augustin Servois, vicaire à la basilique du Sacré-Cœur de Koekelberg.

Mais il ne suffit pas d’être saint pour être docteur de l’Eglise, il faut avoir « apporté un progrès substantiel et sûr dans doctrine de la foi catholique et avoir un rayonnement dans l’Eglise vérifié au cours de âges » précise le père Augustin qui retient chez Newman quatre motifs pour l’avoir fait docteur de l’Eglise : « Son itinéraire humain et intellectuel exemplaire, sa réflexion sur larticulation entre foi et raison et le rôle de la conscience, son apport sur le développement du dogme et enfin sa conception intégrale de l’éducation qui place la théologie au centre des savoirs. »

Un itinéraire exemplaire

Au cœur de l’Eglise anglicane victorienne du XIXème siècle dominée par l’atmosphère sévère et moralisante du puritanisme, Newman vit « une première expérience spirituelle très forte vers 15 ans : il fait une rencontre personnelle de Dieu à travers le dogme, c’est-à-dire une expérience sensible à partir de données de foi intellectuelles. “Mon esprit ressentit l’impression de ce qu’était le dogme et cette impression ne s’est jamais effacée ou obscurcie” dira-t-il plus tard. Il conservera toujours la certitude que la foi est liée à une doctrine, qu’elle ne peut se vivre dans la seule sphère subjective, qu’elle dépend de vérités sur lesquelles on peut s’appuyer et qui agissent comme des canaux de la grâce invisible. Personnalité incarnée, riche et profonde, Newman n’a cessé de chercher Dieu de tout son être, y compris toute son intelligence, et a montré un goût très fort pour le dogme comme chemin qui mène à Dieu. »

Le reste de sa vie manifeste un souci constant de cohérence entre sa recherche de la Vérité et la mise en oeuvre dans sa vie de ce qu’il aura trouvé, notamment lorsqu’il se convertit au catholicisme. Sa vie fut celle d’un pèlerin, acceptant de se laisser guider d’étape en étape par Celui qui « n’a pas de lieu ou reposer la tête ».  

L’articulation entre foi et raison et sa réflexion sur la conscience

Aux prises avec le courant philosophique rationaliste de son époque, il en perçoit vite les écueils et les zones d’ombre. Dans la Grammaire de lassentiment, qui parait en 1870, puis dans sa Lettre au Duc de Norfolk, en 1875, Newman traite de l’articulation entre foi et raison et du rôle de la conscience.

Dans une société qui ne jure que par la pensée scientifique et la démonstration rationnelle, Newman se demande comment rendre compte de la légitimité de l’acte de foi. Comment répondre à ceux qui prétendent que la foi est le propre des crédules et des ignorants ? Comment montrer que la foi ne fait pas injure à la raison ?  « Newman trouve la réponse dans le principe d’analogie : pour les chrétiens le monde visible dit quelque chose du monde  invisible, les réalités de la terre disent quelque chose des réalités du ciel. Plus encore, ils en sont le signe et le point d’accès. Tous les sacrements fonctionnent sur ce principe : on accède à une réalité surnaturelle à partir d’éléments naturels (le pain et le vin, l’eau, l’huile…). Il en va de même pour la foi, elle ne demande pas que l’on mette en sourdine notre nature rationnelle, au contraire, elle s’appuie sur notre manière habituelle de connaître. Or dans la vie ordinaire, ce qui nous permet de connaître ce n’est pas le doute et la méfiance, c’est la confiance. Tout ce que nous avons appris dans notre vie, nous l’avons appris parce que nous avons fait confiance à quelqu’un. La certitude vient dans un second temps, lorsque l’expérience nous permet de vérifier que ce qu’on nous a appris est vrai. Il en va de même pour les choses de Dieu, et c’est tout aussi légitime : on commence par faire confiance à la Révélation, et l’expérience permet de parvenir peu à peu à la certitude de foi » poursuit le père Augustin.

Newman découvre une chose de plus. Il est possible non seulement de croire en l’existence de Dieu avec toute son intelligence, mais aussi d’y croire de tout son coeur, c’est à dire d’une foi vive. C’est là qu’intervient la conscience, la partie la plus spirituelle de notre être, une voix intérieure qui nous presse à chaque instant de faire le bien et d’éviter le mal, et après avoir agi, qui nous juge, soit pour nous louer soit pour nous condamner. « Fréquenter Dieu à chaque instant fait éprouver à notre âme des sentiments et des émotions humaines que lon éprouve normalement en présence de quelquun. Ces émotions naissent de la présence de Dieu. Si je me mets à prêter attention à ces mouvements intérieurs, je vais y trouver un écho de ce que me révèle le dogme, une présence. »

Et le prêtre de donner un exemple : « Le commandement « Tu ne mentiras pas » est une vérité froide, abstraite qui ne provoque rien en moi et ne me dit rien de Dieu. Mais si je prête attention aux mouvements de ma conscience en lien avec le mensonge, je vais bien sentir, le jour où je mens, une présence qui me juge et me condamne, je vais ressentir de la honte. Si je dialogue avec cette voix, si j’essaie de respecter ce commandement et que jy parviens, alors cest un autre sentiment qui va naître, peut-être la joie ou la fierté. En relation avec Dieu, le dogme va prendre vie et devenir alors le lieu de la révélation de la présence de Dieu pour moi. »

Pour Newman, contrairement à la pensée moderne qui met une concurrence entre foi et raison et prétend évaluer la Révélation à l’aune de la science, il y a une précieuse et féconde coopération entre les deux. « Ce dont on peut être sûr, c’est que lon est sûr de se tromper quand on oppose l’un et l’autre » ajoute le père Servois, avant de conclure : « Il y a dans la pensée de Newman un trésor à exploiter pour notre civilisation occidentale post-moderne qui nie cette évidence et peine à accéder à la certitude de foi. »

L'apport sur le développement du dogme.

En s’interrogeant sur les origines de l’Eglise, Newman va découvrir la continuité apostolique dans l’Eglise catholique et un développement authentique de la foi chrétienne qu’il ne trouve pas dans l’Église anglicane et qui vont le conduire à se convertir au catholicisme. Là encore, il s’appuie sur « le principe de lanalogie entre la croissance du vivant et le développement du dogme. Entre l’Eglise des Actes de Apôtres et le Vatican, entre une graine et un vieux chêne ou entre un fœtus et un vieillard, tout est extérieurement différent pourtant il y a bien identité de la personne et continuité du début à la fin, sans rupture ni interruption. Tout ce qui se trouve à la fin se trouve en germe au début. »

Ainsi Newman met en évidence que les vérités de la foi sont un trésor en croissance, et non pas un corpus clos, une réalité qui s’est enrichie de génération en génération au gré des expériences chrétiennes. « On pourrait dire que chaque saint qui vit authentiquement sa foi dévoile des potentialités nouvelles de la Révélation et contribue à enrichir le dépôt de la foi » s’enthousiasme le père Augustin avant d’ajouter : « A chaque fois qu’il y a une croissance de la connaissance humaine, si le dogme est exposé à cette nouveauté, cela fait jaillir des potentialités nouvelles qui viennent enrichir notre connaissance de l’homme, de Dieu, de la Création. »

Le dogme est donc une réalité vivante qui ne cesse d’évoluer et qui risque de mourir si on la fige. Newman a ainsi cette formule un peu provocante : « Vivre c’est changer ; être parfait c’est avoir changé souvent. »

Le père Augustin explique ainsi les tensions fortes du pontificat de François : « Beaucoup ont cru quil renonçait à des vérités éternelles. Or, il nen avait ni le pouvoir ni lintention. En revanche, il a appelé à un renouvellement des outres qui portent le vin nouveau. »

Newman nommé co-patron du monde éducatif au côté de St Thomas d’Aquin.

Le théologien John Henry Newman a non seulement enseigné toute sa vie mais il a surtout cherché toute sa vie. A Oxford, où enseignait Newman, étudiants et professeurs, toutes disciplines confondues, prenaient leurs repas ensemble et développaient ainsi un art de la conversation et du débat : « Cela nous dit quelque chose de sa conception de lenseignement, non pas la transmission verticale d’un savoir figé mais une recherche commune de la vérité. »
Sur l’éducation, on connaît sa pensée grâce à une série de conférences données entre 1852 et 1858 et rassemblées dans L’Idée dUniversité. Il y développe sa conception de l’éducation chrétienne : « Ce qui est remarquable c’est la place centrale quil donne à la théologie dans l’ensemble des savoirs profanes comme ferment dunité et de cohérence entre les savoirs. Il affirme également la nécessité denraciner ces savoirs dans la vérité révélée et de les articuler avec elle, sans nier leur légitime autonomie. »

Par ailleurs, « il prône une éducation qui concerne toute la personne – corps, cœur et esprit – et intègre la formation intellectuelle et morale, la recherche dune vie droite et le développement de la foi. Il a une vision intégrale de l’éducation et s’inscrit en faux contre une vision utilitariste de l’éducation. » 

Inspirateur invisible du Concile Vatican II, son héritage intellectuel et spirituel est le fruit direct de son dialogue avec le monde et reste d’une étonnante actualité aujourd’hui.

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