Femme de recherche et de terrain, Isabelle Morel l’est assurément. Avec Dominique Barnérias et Luc Forestier, elle publie un Petit manuel de synodalité qui arrive à point nommé. Sans langue de bois.
Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT
POUR ALLER PLUS LOIN
Petit manuel de synodalité, Dominique Barnérias/Luc Forestier/Isabelle Morel, Éditions Salvator
Avec deux collègues, vous publiez Petit manuel de synodalité. Quelle est la genèse de ce projet ?
Nous avons souhaité partager les résultats d’un séminaire de recherche sur la synodalité, espérant qu’ils pourront être utiles à d’autres acteurs pastoraux. Nous voulions comprendre ce que le pape François entendait par synodalité, qu’il voit comme un enjeu majeur pour l’Église universelle du XXIe siècle. Lorsqu’il a mené un synode diocésain de 2017 à 2019, Mgr Jean-Luc Bouilleret, archevêque de Besançon, a évoqué la synodalité comme un mode de gouvernance. On a voulu creuser cette question, caractériser le processus synodal, les critères de la synodalité, mettre des mots pratiques, concrets, sur ce qu’est la synodalité. Ce petit livre met en exergue des points d’attention. Notamment le fait que, lorsque l’on accepte de marcher avec l’autre, en étant à son écoute, on se laisse forcément déplacer. S’il s’agit de consulter les gens pour continuer à imposer ses décisions, ce n’est pas de la synodalité ! Il ne suffit pas d’être rassemblés autour d’une table pour dire qu’il y a synodalité !
Ce mot n’est-il pas employé à temps et à contretemps…
Le risque est en effet de croire qu’il s’agit d’une sorte de vernis, qui ne va pas nous empêcher de continuer à fonctionner comme on l’a toujours fait ! La synodalité, ce n’est pas cela ! Il y a synodalité quand il y a transformation des personnes, y compris de celui qui aura la décision finale à prendre ; la synodalité, à l’autre extrême, n’est pas non plus la démocratie…
Où en est la synodalité dans l’Église ?
C’est très divers selon les lieux, et très lié aux personnes en responsabilité. Certains acceptent de mettre en place des processus où, avant de prendre une décision, on prend le temps de la consultation, de l’écoute, du discernement, sans idée préconçue sur la décision à prendre. D’autres ne jouent pas le jeu. Dans certaines paroisses, on commence à voir des assemblées de chrétiens au cours de laquelle chacun peut s’exprimer. L’équipe d’animation qui écoute le prend en considération. Dans d’autres lieux, c’est inenvisageable…
Ne pourrait-on pas imaginer des règles qui conduiraient même les plus réticents à se lancer ?
Je pense que c’est ce qu’est en train de faire le pape François. Il ouvre un synode romain sur la synodalité. Et pour la première fois dans l’histoire de ces synodes, il n’y aura pas de question sur un sujet précis. On va juste discuter de la synodalité, donc de la manière de vivre en Église. François est en réalité en train de demander à toute l’Église de réfléchir sur la manière dont elle avance, vit, travaille, décide, etc. Il met en place des processus qui peuvent porter du fruit avec le temps.
N’est-ce pas aussi une forme de réponse aux crises qui secouent l’Église ?
Quand on voit les abus d’autorité, de pouvoir, spirituels, sexuels, la synodalité est effectivement l’une des évolutions qui pourraient permettre d’être signe qu’autre chose est possible. Mais rien n’est assuré. C’est laissé à la libre responsabilité des personnes en charge ecclésiale.
C’est surtout par les paroisses que les personnes sont en contact avec l’Église : comment développer concrètement cette synodalité au sein des paroisses ?
Là encore, c’est lié à la personnalité du curé et des laïcs qui forment son équipe d’animation pastorale. Si le conseil pastoral (lorsqu’il existe) est juste une façade, il ne sert à rien. Si ces conseils deviennent des lieux où l’on apprend à se parler, à s’écouter, et à se laisser transformer par la parole de l’autre, à accepter de voir certains problèmes et certaines solutions, c’est gagné. Cela présuppose que chacun ne vienne pas seulement pour donner sa propre opinion et que tous soient guidés dans le processus d’écoute, de parole et de discernement. La synodalité est un apprentissage.
L’avez-vous vécu vous-même ?
Je me souviens qu’à la première session du synode du diocèse de Besançon, des personnes élues par leur paroisse arrivaient pour défendre ce que les paroissiens les avaient chargés de dire. Deux ans après, elles ont témoigné qu’elles avaient compris qu’elles n’étaient pas là pour défendre leur pré carré paroissial mais pour, à partir de leur expérience particulière, enrichir la réflexion commune et contribuer à ce que le pasteur du diocèse prenne la meilleure décision possible pour l’ensemble. Dans l’atelier sur la liturgie et les chants, spécialement, où les échanges avaient pu être vifs, de profondes transformations se sont opérées.