Nos établissements scolaires cherchent à conjuguer excellence et ouverture à tous. Le défi est grand. Pas seulement parce qu’il semble paradoxal : comment accueillir les bons élèves et les moins bons (ou qualifiés comme tels), tout en visant le meilleur pour tous ? Mais le défi est grand surtout parce qu’il interroge notre approche chrétienne de l’éducation. En effet, le mot « excellence » ne fait pas partie du vocabulaire chrétien. On ne le trouve pas tel quel dans la bouche de Jésus, ni dans la théologie de l’Église. Faut-il donc le garder pour qualifier une approche chrétienne de l’éducation ? Si oui, comment le comprendre ? Telle est la question.
La définition classique de l’excellence est « le degré éminent de qualité d’une personne ou d’un organisme dans le domaine qui est le sien ; concerne la perfection, la supériorité. ».
Or, le vocabulaire chrétien préfère la sainteté et le salut à la supériorité de la perfection. La sainteté n’est pas d’abord de l’ordre de la perfection morale. Elle est le fruit du salut, c’est-à-dire de l’action de Dieu et de la collaboration de l’homme. Quand nous guette la tentation du volontarisme, que l’Église qualifie de pélagianisme, il nous faut considérer en premier l’action de Dieu. C’est Dieu qui agit en premier. Il crée le monde, l’homme (corps, âme et esprit). Il donne la vie qui se transmet, ouvrant à l’excellence de l’être. Dieu agit ainsi dans les personnes et les relations, étant la source de l’amour qui est l’excellence des relations. Il agit dans le temps, offrant la croissance. Il donne mission. Il constitue un peuple, qui ouvre à l’excellence collective, celle du Royaume de Dieu.
Ainsi l’oeuvre de Dieu part de la réalité de la création qu’il déploie. De même l’éducation part-elle des besoins des enfants pour y répondre et de leurs talents pour les déployer. Et cette oeuvre de Dieu s’accomplit non dans un monde parfait, mais dans un monde marqué par le mal et la faiblesse. C’est ce monde blessé que Dieu aime et vient sauver. La voie d’excellence, s’il faut en chercher une, est donc nécessairement un chemin de salut. Ce salut se réalise par la rencontre du Christ avec la pauvreté et le péché des hommes. Et ce salut s’opère par le Christ dans l’Église, qui est « comme le sacrement du salut » (Vatican II). Cela signifie que l’homme n’est pas sauvé seul, en dehors de la communauté des croyants. Il reçoit le salut par la médiation de l’Église.
Revenons donc à notre question : peut-on parler de recherche d’excellence dans l’éducation chrétienne ? Oui, car il s’agit non de la recherche d’une perfection ou d’une supériorité, mais d’un déploiement de toutes les richesses de la personne, en intégrant le temps. Viser l’excellence dans l’éducation, c’est faire progresser l’enfant pour qu’il parvienne avec la grâce de Dieu à dépasser ses faiblesses et acquière des forces par l’exercice des vertus, pour user au mieux de ses capacités d’intelligence et d’amour.
Et, parce que le salut est une oeuvre de l’Église, l’excellence recherchée sera forcément collective et non simplement individuelle. Pourrait-on d’ailleurs parler d’excellence quand des élèves brillants laisseraient d’autres sur le carreau, dans une logique de compétition ? Ce serait l’échec non seulement des plus faibles, mais aussi des plus forts, incapables de la solidarité qui caractérise l’oeuvre du salut. Les plus faibles nous sont donnés pour que tous puissent garder l’humilité qui ouvre au mystère pascal du Christ. Seule l’humilité introduit au salut en Christ. Il n’y a pas d’excellence authentique, celle qui touche au coeur, sans la prise en compte des plus pauvres.
Et ce salut nous est obtenu par le sacrifice du Christ auquel nous nous unissions. Il n’y aura donc d’excellence dans nos établissements scolaires, entendue comme oeuvre de salut, que si nous acceptons les faiblesses des uns et des autres, en croyant que tous ensemble nous pouvons progresser par la grâce de Dieu, et en acceptant de participer au sacrifice du Christ. Un chef d’établissement, comme tout éducateur chrétien, ne verra grandir ses élèves vers l’excellence chrétienne que s’il accepte de porter aussi la croix à la suite de Jésus, par amour pour ceux qui lui sont confiés.
P. Eric Jacquinet