Amoris Laetitia – Regards croisés sur des perspectives missionnaires

Quelques mois après la publication de la lettre apostolique Amoris Laetitia, le père François Gonon, professeur de théologie morale au Collège des Bernardins et Monseigneur Denis Biju-Duval, président de l’Institut Redemptor Hominis à l’université du Latran, portent dans IlestVivant! deux regards croisés sur les enjeux missionnaires de cette lettre du pape François.

Partir des personnes et des situations réelles

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Père François Gonon

Le premier changement est dans le genre littéraire utilisé. Jamais la doctrine catholique sur l’amour conjugal et familial n’avait été exprimée par le magistère en termes si existentiels et pédagogiques, unifiant les dimensions humaines et spirituelles, psychologiques et théologales dans des mots simples et profonds. Ce langage qui sonne si juste manifeste l’actualité de la Parole de Dieu et laisse transparaître la pédagogie divine et miséricordieuse du salut. Tous ceux qui lisent ce texte, pasteurs ou brebis, qu’ils soient dans la joie ou dans la peine, se sentent rejoints dans leur expérience. Cette perspective, et c’est un deuxième changement, conduit le pape à proposer des pistes pastorales très concrètes pour progresser dans l’accompagnement des jeunes, des fiancés, des couples, des familles, quelle que soit leur situation et l’étape où ils en sont. La tâche, bien balisée, est immense.

Mais il est un changement encore plus décisif : celui de la conversion du cœur et du regard à laquelle le pape invite toute l’Église et en premier lieu ses pasteurs. Ils sont appelés à entrer dans le regard exigeant et miséricordieux du Christ, le Bon Pasteur attentif à chaque brebis et à son cheminement. Impossible d’enfermer les personnes dans des catégories figées. Il ne suffit pas de parler des fiancés, des mariés, des concubins ou des personnes divorcées remariées en général. Cette attitude constitue l’enjeu essentiel du texte puisqu’elle commande la manière dont les pasteurs vont accompagner les brebis, discerner les situations et intégrer les personnes en situation de fragilité. Cette conversion implique de sortir de nos approches parfois trop idéalisées ou théoriques pour ouvrir les yeux sur les couples et la famille tels qu’ils sont aujourd’hui et sur la manière dont le discours de l’Église est effectivement perçu. Un tel regard est décisif car la grâce de Dieu ne travaille pas à partir de ce qui est rêvé ou imposé de manière extrinsèque, mais à partir des personnes et des situations réelles, pour les transformer progressivement au rythme d’un cheminement qui doit être accompagné pas à pas.

Nous sommes ici au cœur de l’approche pastorale d’Amoris Laetitia, véritable antidote au rigorisme ou au laxisme qui négligent l’un et l’autre la personne et le nécessaire accompagnement de sa maturation. Le processus de croissance et l’itinéraire de conversion constituent en effet la condition commune de tous les couples qui désirent grandir en sainteté, quelle que soit leur situation. Tous ont besoin d’être accompagnés par des frères, guidés par des pasteurs, fortifiés et relevés par la grâce de Dieu. Ainsi, avec le sacrement de mariage tout est donné mais tout reste à faire. Un chemin s’ouvre au rythme de différentes étapes – et parfois de crises – à accompagner car l’amour est fort et fragile à la fois.

L’attention au cheminement constitue aussi la clé de l’accompagnement des couples en situation “irrégulière” qui doivent faire l’objet d’une sollicitude particulière. Ne jugeons pas toujours de manière négative ce qui ne correspond pas à l’idéal mais reconnaissons-le comme étape possible d’un chemin de progrès. Le rappel de l’enseignement moral de l’Église pourra porter son fruit de conversion à l’intérieur de ce regard d’espérance et de miséricorde qui constitue au fond la clé de l’approche pastorale proposée par le pape et qui n’est autre que la doctrine du Bon Pasteur.

Offrir aux personnes un chemin concret de croissance

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Mgr Biju-Duval
Les questions de l’amour, du mariage, de la famille et de l’éducation permettent bien des rencontres avec l’Église. Pourtant non-pratiquants, des jeunes désirent se marier à l’Église, des parents font baptiser leurs enfants, les inscrivent au catéchisme et cherchent parfois de l’aide pour leur éducation, des couples en difficulté perçoivent que l’Église peut les aider… C’est le signe que Dieu ne cesse de rejoindre l’homme dans ses relations les plus sensibles. Or il faut en mesurer le défi. Ces demandes s’expriment dans des contextes très fragiles : ignorance du Christ et de l’Évangile, manque de repères dans l’exercice de libertés blessées par des expériences familiales, affectives et sexuelles chaotiques. N’attendons pas que les gens viennent à l’Église, allons à eux ! Développons des initiatives suscitant la rencontre.
L’Église a une longue expérience missionnaire : l’annonce de l’Évangile à qui l’ignore, le catéchuménat, l’initiation sacramentelle. Il est vrai qu’ici, la plupart sont déjà baptisés, et le catéchuménat ne les concerne pas directement. Pourtant, les non-baptisés demandeurs sont de plus en plus nombreux. En outre, le chemin catéchuménal que leur offre l’Église n’est pas éloigné des besoins de bien des baptisés. Ils n’ont de fait à peu près rien reçu, ni en termes de première annonce, ni en termes de catéchèse et d’initiation sacramentelle. Quand ils ont un peu reçu, ils ont quasiment tout oublié. Et leur expérience de la vie de l’Église est quasi absente.Quant à ceux qui viennent de milieux chrétiens plus structurés, ils sont souvent si fragilisés par leurs contextes de vie qu’ils ont besoin eux aussi de repartir du plus fondamental. Comment avancer en ce sens ?

1. N’attendons pas que les gens viennent à l’Église : allons à eux. Développons davantage les initiatives qui ouvrent à la rencontre, qui permettent de rejoindre les personnes telles qu’elles sont. Annonçons-leur sans condition l’amour du Christ, et offrons-leur un chemin concret de croissance. Le cas échéant, soyons inventifs, à partir des situations rencontrées et des charismes présents dans nos communautés. Des groupes de prière, des écoles pour couples ou pour parents, des propositions d’aide, des foyers d’étudiants se sont développés ces dernières décennies : il faut aller plus loin encore, au gré de notre charité pastorale et des signes de l’Esprit Saint.

2. Refaisons place à la première évangélisation : annoncer à qui l’ignore et rendre présent en actes l’amour victorieux du Christ sur la mort et le péché. C’est là non seulement le point de départ “kérygmatique”, mais c’est aussi un événement toujours actuel dans le cheminement catéchuménal qu’offre l’Église à ceux que le Seigneur vient ainsi toucher, et plus largement à tous les chrétiens.

3. Incarnons cette annonce dans une offre éducative de croissance humaine : aider les personnes à découvrir qui elles sont, comme homme ou comme femme, comme parents ou comme jeunes, et leur offrir des lieux communautaires où expérimenter et structurer leur liberté en croissance. Dans le cadre de cette maturation, prend sens la question des sacrements. Le catéchumène qui attend encore son baptême ne le vit pas comme un refus, mais comme une invitation à avancer vers lui avec une communauté qui le soutient. De même bien des personnes et des couples qui vivent initialement des situations problématiques pourront accueillir le fait que soit différée leur pleine réconciliation sacramentelle ou leur communion eucharistique, comme une dynamique de désir et d’espérance, comme le temps nécessaire d’une reconstruction où ils sont accompagnés par des frères.

 

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